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j.-m. guardia. — philosophes espagnols de cuba

Cuba, il vota pour la régence provisoire, conformément à la motion d’AIcalá Galiano. H a fait lui-même un court récit de ces événements mémorables, depuis le 12 juin jusqu’au 3 octobre, où finirent les Cortès. À la décision héroïque du Parlement, la régence de Madrid avait répondu par un décret condamnant à mort et à la confiscation des biens les députés qui avaient voté la mesure, les ministres et les membres du conseil de régence. La prise du Trocadéro, le 30 août, avança le dénouement du drame. Enfin, le 30 septembre, le misérable roi, sauvé par « les cent mille fils de saint Louis », lança, son manifeste, monument de duplicité, suivi le lendemain d’un autre décret qui annulait tous les actes du gouvernement légal et constitutionnel, depuis le 7 mars 4820. C’était le retour pur et simple au despotisme. Béranger, dont on connaît la chanson, se montra meilleur diplomate que Chateaubriand.

Les députés dispersés se réfugièrent au Maroc ou à Gibraltar. Varéla parvint dans cette ville au péril de sa vie, ayant appris par lui-même à connaître l’Espagne et le peuple espagnol, un pueblo fanático que creia que no podia ser religioso sino era esclavo. On ne saurait mieux dire. Les adversaires des libéraux se font honneur de leur servilisme et se proclament serviles. Varéla était sur la liste des proscrits, réputés traîtres pour avoir voulu sauver la patrie. Il s’embarqua avec ses deux collègues, sur un navire en partance pour les États-Unis, cette terre classique de la liberté, comme il l’appelle, et débarqua à New-York le 17 décembre 1823. H avait trpnte-cinq ans.

Ce libéral de race était un homme libre qui portait fièrement le costume ecclésiastique. Il ne pensait pas que la religion dut être l’alliée du despotisme et que la foi dût supprimer la raison. Les dénicheurs d’hétérodoxes ou d’hérétiques en sous-ordre ne lui pardonnent point d’avoir été le collègue ou le complice de ces prêtres éclairés de l’Église d’Espagne, qui cherchèrent un asile en Angleterre, en France ou ailleurs, comme leurs prédécesseurs du xvie siècle qui échappèrent aux actes de foi de Séville et de Valladolid. C’est après ces vaincus du droit et de la liberté que s’acharnent les Académiciens de la langue et les professeurs de l’Université centrale, dont les arrêts sont discutés à Cuba. En vérité, c’est leur faire beaucoup, beaucoup trop d’honneur.

Varéla était un homme de principes, de convictions et de lumières il accepta l’infortune sans faiblesse et la soutint avec sérénité. Il avait vu en Espagne des réactionnaires fanatiques et des démagogues forcenés, et entre les deux une petite élite. Ami sincère du progrès par la liberté, patient à cause de sa force, les moyens violents et les procédés révolutionnaires lui répugnaient. Patriote et libéral, il conserva sa nationalité et ne rentra point à Cuba, bien qu’il eût pu profiter de l’amnistie de 1832, avec le bon plaisir d’un gouverneur. Son passé irréprochable était contre lui et le désignait au pouvoir ombrageux