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ESSAI SUR LA PHILOSOPHIE DE PROUDHON



Les ouvrages de Proudhon ont été peu lus et surtout peu étudiés ; M. Fouillée[1] se plaint que l’on n’ait pas toujours apprécié à leur juste valeur les idées philosophiques du célèbre socialiste ; la faute en est, en grande partie, à la difficulté que l’on éprouve à les dégager. On a bien souvent proclamé qu’on n’avait pas le droit de juger un philosophe sur ses formules ; rien n’est plus vrai, et c’est faute de tenir compte de cette sage maxime que nos historiens commettent tant d’erreurs grossières.

Le dégagement des théories d’un auteur est toujours une œuvre délicate, exigeant beaucoup de critique ; mais ce travail est particulièrement difficile quand il s’agit de Proudhon : sa pensée a évolué lentement ; toutes ses doctrines sont en germe dans son premier mémoire sur la propriété ; mais il n’a pas vécu assez longtemps pour pouvoir leur donner une forme définitive ; de là des contradictions fréquentes dans les formules, si bien que pas un livre de quelque étendue n’est peut-être complètement homogène.

Nous ne voulons pas étudier toute l’œuvre de Proudhon ; nous n’aborderons ni ses thèses révolutionnaires, ni ses thèses religieuses, malgré tout l’intérêt qu’elles présentent. Nous allons chercher à expliquer comment il a ramené les problèmes économiques à des questions de psychologie, exposer sa théorie de la Justice et des Contradictions.


I


L’économie politique est une science moderne ; au siècle dernier la grande révolution industrielle mit à nu les vices de l’ancienne législation, créée par des gens peu versés dans les questions commerciales, sous l’influence de théories souvent enfantines. Les Anglais reconnurent que l’intervention des académies, des fonctionnaires,

  1. L’idée moderne du droit, etc., p. 196. M. E. Spuller a maintes fois tenu à rendre hommage à Proudhon.