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generis, original, comme un panorama ; de plus, il ne reviendra jamais absolument le même, malgré les ressemblances qu’on pourra établir entre lui et un état subséquent. Le son d’une cloche, par exemple, est un détail introduit du dehors dans le paysage actuel de la conscience, où il se tond aussitôt, alors même qu’il y reste dominant ; quand j’entendrai demain sonner la même cloche à la même heure, ce ne sera plus le même état général renfermant le même état particulier ; conséquemment, ce ne sera plus la même relation de la sensation sonore à l’état d’ensemble dont elle est partie, ni enfin la même sensaiion identique. En un mot, nous n’avons jamais deux fois la même représentation interne, parce que nous ne repassons jamais deux fois par le même état total de la conscience, pai1 le même sentier de la vie.

Au panorama des représentations, qui constitue toujours un tout concret, mais un tout changeant, se joint un ton général de la sensibilité, je veux dire un bien-être ou un malaise d’ensemble sur lequel se détachent des plaisirs et des déplaisirs particuliers, qui cependant ne sont jamais séparés du reste. Comme la sensation, l’émotion réelle de chaque moment est un tout concret et original, si bien que nous n’avons jamais deux fois la même émotion. Si j’entends la même symphonie de Beethoven, elle n’éveille pas en moi la même symphonie de sentiments. Et non seulement l’état émotif est un tout, mais il est inséparable de l’état représentatif, avec lequel il forme encore un tout.

En troisième lieu, nous avons toujours un ensemble de sentiments immédiats de changements. Nous n’avons point seulement une somme de représentations du moment précédent qui coexisterait immobile avec celle du moment présent, car ce total de représentations coexistantes et actuelles ne nous donnerait pas l’idée du passé ou du futur, ni celle du potentiel, qui en est inséparable. Nous avons encore le sentiment de la transition même ou du changement.

Enfin, — nous arrivons au point essentiel, — les antécédents de ce changement nous apparaissent tantôt comme n’étant pas dans l’état total précédent de la conscience, mais comme y pénétrant du dehors ; tantôt, au contraire, comm, e préexistant dans cet état antérieur. Si je ressens tout à coup une piqûre, elle a beau se fondre immédiatement avec mon état général, la conscience du changement est ex abrupto, la transition n’a été ni prévue, ni pressentie. Il y a donc, au point de vue de la ligne du temps, discontinuité entre ma conscience de tout à l’heure et ma conscience actuelle. Je dis alors que je pâtis, c’e^t-à-dire : ma conscience de tout à l’heure n’enveloppait point en elle la totalité des conditions antécédentes et immédiates