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faveur du plaisir, et il y a en même temps discernement de mon état actuel. Si je ne discernais pas, je ne préférerais pas.

D’autre part, la faculté de discernement ne s’est développée qu’en vue du choix : si no.us avons conscience des différences, principalement sensitives, c’est que ces différences sensitives entraînent des difféiences réactives. On peut même aller plus loin et dire que tout discernement contient déjà un choix pratique, rudimentaire, que toute détermination intellectuelle est en même temps une détermination de l’activité, surtout dans les sens primordiaux, qui sont par essence vitaux et où la réaction est inséparable de la sensation. Discerner le plaisir de manger et la douleur de la faim, c’est indivi-siblement préférer l’un à l’autre. Les discernements en apparence indifférents sont un résultat ultérieur ; et, même en ce cas, l’adhésion que nous accordons à ce qui nous paraît tel est encore une préférence intellectuelle, une détermination en un sens plutôt qu’en un autre, — ce qui, bien entendu, n’implique aucun libre arbitre. On a dit avec raison que la chimiotaxie des protozoaires, l’néliotropisme et le géotropisme des plantes mêmes, enveloppent déjà une sorte de discernement rudimentaire et une sorte de choix rudimentaire aboutissant à telle direction de mouvements. De même, a-t-on dit encore, le triage de telle substance nutriiive parmi d’autres est une sorte de choix spontané.

Cette unité indissoluble du penser et de l’agir est une loi psychologique d’importance capitale, que nous résumons dans le terme : idée-force. Tout état de conscience est idée en tant qu’enveloppant un discernement quelconque, et il est force en tant qu’enveloppant une préférence quelconque. Toute force psychique est, en dernière analyse, un vouloir.

II.

— Si le premier principe de la doctrine des idées-forces est l’indissolubilité du sentir et du réagir, le second principe de cette doctrine en est l’indissolubilité, non seulement de chaque sensation particulière et de la sensibilité générale, mais encore de chaque réaction parliculière et de l’activité générale. C’est ce que nous allons mettre en lumière.

Rappelons-nous d’abord que nos sensations, nouvelles au moment où elles se produisent, ne demeurent point détachées dans la conscience ; elles y deviennent aussitôt parties d’une seule sensation totale et en quelque sorte massive, répondant à l’état total de notre organisme. Nous avons à chaque instant, par la combinaison de nos sensations nouvelles avec notre état précédent, un état concret de la cœnesthésie, de la conscience vitale, pour ainsi dire ; cet état est sui