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du processus psychologique, il y a déjà un appétit modifié par une sensation d’une manière plus ou moins agréable ou pénible, et que c’est là le fait primitif, le fait irréductible de la psychologie, exprimable en abrégé par les mots de passion et de réaction, ne peut-on alors, par l’observation et le raisonnement, établir l’existence de la volonté ? Ne peut-on démontrer cette immanence de la volonté à tous les états de conscience, à toutes les idées, qui leur confère, selon nous, leur caractère impulsif ? Un lien intime unit la théorie de la volonté avec la doctrine générale des idées-forces, qui consiste précisément à admettre l’universelle présence du vouloir et du mouvoir dans toute représentation. Cette doctrine a, ici même, donné lieu plusieurs fois à des interprétations inexactes, sans que nous ayons voulu engager de controverse à ce sujet ; si nous entrons aujourd’hui dans de nouvelles explications, c’est pour mettre en lumière notre conception de la volonté.

I. — La force des idées doit s’entendre en un triple sens : psychologique, physiologique et philosophique. Au point de vue psychologique, ce qui constitue la conscience, selon nous, c’est un processus à trois termes inséparables : 1o un discernement quelconque, qui fait que l’être sent ses changements d’état et qui est ainsi le germe de la sensation et de l’intelligence ; 2o un bien-être ou malaise quelconque, aussi sourd qu’on voudra, mais qui fait que l’être n’est pas indifférent à son changement ; 3o une réaction quelconque qui est le germe de la préférence et du choix, c’est-à-dire de l’appétition. Quand ce processus indivisiblement sensitif, émotif et appétitif arrive à se réfléchir sur lui-même et à constituer une forme distincte de la conscience, il peut s’appeler, au sens cartésien et spinoziste, une idée, c’est-à-dire un discernement inséparable d’une préférence.

On voit que la force inhérente à tous les états de conscience a sa dernière raison dans l’indissolubilité de ces deux phénomènes fondamentaux : le discernement, d’où naît l’intelligence, et la préférence, d’où naît la volonté. Au point de vue de l’intelligence, le discernement peut être implicite, quand un terme seulement est présent à l’esprit, sans comparaison avec un autre. Au point de vue de la volonté, il existe aussi une préférence implicite, qui n’enveloppe pas de comparaison. J’éprouve une douleur, et immédiatement je veux sa suppression, comme le montre mon effort réactif contre la douleur. Je n’ai pas besoin pour cela d’instituer une comparaison réfléchie entre les idées de deux partis possibles, ni de concevoir explicitement le contraire de ce que je veux comme étant également possible pour moi. Il y a préférence non raisonnée, mais active en