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p. paulhan. — la responsabilité

insensibilité morale et cette absence de remords. « Lacenaire avouait n’avoir jamais tremblé à la vue d’un cadavre, il faisait toutefois une exception en faveur de son chat. La vue d’un mourant, disait-il, ne me touche guère. Je tue un homme comme je bois un verre de vin. En effet, l’indifférence complète en face de leur victime et en présence des instruments ensanglantés qui ont servi à perpétrer le crime, est un caractère constant chez tous les vrais criminels d’habitude, et ce caractère suffirait à les distinguer de l’homme normal[1]. » Un criminel disait : « Le vol, dit-on, est une mauvaise action ; tel n’est pas mon avis. Je vole par instinct. Pourquoi l’homme paraît-il sur la terre, sinon pour jouir ? Maintenant donc si je n’eusse volé, je ne pourrais point jouir, je ne pourrais pas même vivre. » De même une voleuse anglaise disait à une dame patronnesse : « Oh madame, si vous saviez comme on vit bien ! Concevoir un vol, l’exécuter est pour nous ce qu’est une partie de campagne, ou une fête, ou un bal, pour une dame de la société[1]. » « On parle souvent, dit encore Lombroso, du remords qui ronge le criminel ; et l’on a même vu, il y a quelques années, les systèmes de pénalité prendre pour point de départ le repentir des coupables. Mais il suffit d’avoir étudié même superficiellement ces misérables, pour être certain que le remords leur est inconnu[1]. » Faisons autant qu’on le voudra la part de l’exagération, de l’excès de généralisation, l’insensibilité, le manque de remords sont, on en conviendra, des faits qui se rencontrent. À mon sens, loin d’atténuer la responsabilité, ils tendent à la rendre plus complète, en montrant que le crime est bien l’œuvre de la personnalité, que rien en elle ne proteste contre l’acte coupable — et cela dans les conditions les plus favorables, lorsque, une fois le crime commis, par le jeu naturel de l’association par contraste, les tendances opposées aux tendances qui l’ont produit doivent, si elles existent, se manifester aussi fortement que possible.

Inversement, le remords après le crime, et avant le crime l’hésitation, la délibération au lieu d’augmenter la responsabilité peuvent l’affaiblir. Toutefois il y a lieu de distinguer. Si l’acte est commis soudainement, d’une manière réflexe, sans que la personnalité entière y prenne part, l’absence de délibération produit une diminution de la responsabilité, nous avons ici l’activité indépendante d’un système psychique, et cette diminution de la responsabilité peut être forte, si le système mis en jeu s’harmonise peu avec l’ensemble de la personnalité et ne doit son activité qu’à des circonstances exceptionnelles, graves, imprévues. Mais si, au contraire, l’acte commis sans

  1. a, b et c D’Lombroso, L’homme criminel, trad. franc., p. 329.