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à des sentiments humains, paraît avoir fait partie de ces gens sans scrupules qui, bien doués d’ailleurs, réalisent leurs fins sans avoir grand égard à l’humanité et à la morale. Napoléon, Jules César peuvent être placés dans la même catégorie. Si ces hommes ont commis parfois de mauvaises actions, il n’y a pas a plaider pour eux l’irresponsabilité. Sans doute, étant ce qu’ils étaient, ils ne pouvaient agir autrement qu’ils n’ont agi, mais leur responsabilité reste entière dans le bien comme dans le mal, lorsque leurs actes dérivent logiquement de la nature même de leur personnalité, et ils méritent d’autant plus l’éloge ou le blâme que leur personnalité est plus cohérente et plus forte.

À un rang inférieur, avec une personnalité moins riche en éléments bien coordonnés, par suite avec une responsabilité moindre, se trouvent les criminels vulgaires. M. Despine cite le frait suivant d’après le Droit du 18 juillet 1860, qui l’emprunte au Courrier des États-Unis : « Un jeune ministre méthodiste, marié à une femme qu’il trompe et qui le gêne, se décide à s’en défaire par le poison. Le malheureux semble être né avec une âme perverse qui peut de prime abord concevoir les plus affreux desseins sans s’effrayer un seul instant, sans hésiter même. C’est en témoignant des sentiments d’affection à sa femme qu’il tente plusieurs fois de l’empoisonner. Le coupable avoue que, pendant ce long assassinat, il ne lui vint pas un seul remords, pas un seul sentiment de pitié pour sa femme, pas une seule crainte des conséquences de son crime : il avait la conscience aussi légère que s’il avait fait la chose la plus naturelle du monde. » M. Despine cite encore un assassin qui ayant tué son camarade pour lui voler sa montre manifesta pour son crime une indifférence complète ; « l’insensibilité morale est très caractérisée chez ce malheureux. Dans le récit circonstancié de son crime, jamais il ne laissa apercevoir qu’il y ait eu un combat entre le bien et le mal dans sa conscience. Son désir pervers n’ayant pas été réprouvé et combattu par un sentiment moral, sa faculté de poursuivre des idées n’a été occupée qu’à combiner les moyens de le satisfaire ; cette préméditation n’a donc pas été une délibération éclairée par les bons sentiments sur le parti à prendre entre le bien et le mal. L’insensibilité morale de ce jeune homme est bien plus patente encore par l’absence de remords après le crime, par la quiétude de son esprit, quiétude qui ne s’est jamais démentie[1]. » Lombroso note aussi comme caractère fréquent, chez le criminel, cette

  1. P. Despine, De la folie au point de vue philosophique et spécialement psychologique étudiée chez le malade et chez l’homme en santé, p. 587 et p. 603.