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p. paulhan. — la responsabilité

même pour les actes commis pendant l’état de suggestion hypnotique, nous devons en répondre dans la mesure où ils sont en harmonie avec nos tendances personnelles et oh nous devons les supposer produits par elle.

Je crois que dans la question de la responsabilité dans les états morbides la théorie que j’ai indiquée arrive, par des voies différentes, à des résultats qui concordent sur plusieurs points avec les opinions généralement admises. En ce qui concerne le criminel-né, l’homme que son tempérament, son caractère, ses passions portent invinciblement au crime, soit directement, parce que c’est le crime, le vol ou le meurtre, qui est l’objet de son désir, soit indirectement, parce que le crime se présente à lui comme le seul moyen de satisfaire ses passions, nous irons, au contraire, au rebours du sentiment commun. J’admets en effet, non seulement que l’irrésistibilité de la passion, que le manque des sentiments altruistes ou moraux, ne détermine pas l’irresponsabilité, mais encore que plus les passions seront fortes, irrésistibles (en ce sens qu’il n’y a rien pour leur résister), plus la personnalité tout entière sera absorbée par elles et consistera, pour mieux dire, en elles et en passions, désirs, idées secondaires harmonisés avec elles et destinés à concourir à la même fin, plus la responsabilité sera grande.

L’insensibilité morale du criminel, l’absence de remords, l’absence de pitié, ont été signalées il y a plusieurs années en France par M. Despine, qui est à certains égards un précurseur de l’école italienne. M. Lombroso, M. Garofalo ont repris depuis cette question à un autre point de vue et ont insisté aussi sur l’anomalie morale du criminel. Ce manque de sens moral ne peut en vérité influer sur la responsabilité de l’individu, il n’est pas comparable à une maladie, à un affaiblissement du moi, bien qu’il puisse d’ailleurs, en certains cas, l’accompagner. Il constitue plutôt une manière d’être du moi, un mode général d’association des phénomènes psychiques, un mode de l’esprit. Quand il s’allie à une haute intelligence et à une grande cohérence des actes, à la coordination complète des désirs, il peut s’accompagner d’une forme très élevée de la responsabilité. Un certain nombre de grands hommes paraissent offrir des exemples de ce fait. Quand je dis qu’ils sont responsables, je ne veux pas dire qu’ils soient toujours blâmables, car sans pitié, et sans instinct de la morale abstraite, ils ont pu bien agir lorsque leurs intérêts se trouvaient d’accord avec le bien. Mais en ce cas il y a plutôt en nous de l’admiration pour leur talent, leur génie, leur volonté, que d’estime pour leur personne. Louis XI, encore qu’il y ait à faire valoir des raisons en sa faveur, et bien qu’il ait été accessible