Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/412

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
408
revue philosophique

somme une sanction et ses examinateurs l’avaient — sans connaître son état — jugé responsable de la façon dont il avait soutenu l’examen. S’étaient-ils trompés ? Je ne le pense pas. Au lieu d’un examen de baccalauréat, acte qui peut avoir, du reste, une certaine valeur morale, supposez une action héroïque, perdra-t-elle sa valeur ? supposez un crime, perdra-t-il son caractère ? Certainement non, à condition bien entendu que l’action héroïque, que le crime soient produits par la personnalité même, par ce qui en reste, si elle n’a pas été trop entamée. Certaines hystériques peuvent faire des actions brillantes dont elles ne sont pas réellement responsables, c’est que chez elle l’action est une chose pour ainsi dire détachée, sans harmonie avec le caractère général, ne se reliant pas à un système d’idées et de tendances fortement unifiées, mais produites au hasard des événements et de la versatilité de l’individu. Il paraît bien que chez certains fous une personnalité encore assez solide peut subsister, ce sont ceux-là qui sont responsables et seulement en tant qu’ils présentent ce caractère. C’est dire que, chez eux, la responsabilité est au moins quelque peu affaiblie, puisque la folie consiste dans un manque de coordination des systèmes psychiques.

La responsabilité dans l’état d’hypnotisme, dans le rêve, dans l’état de dédoublement de la personnalité s’établira d’après les mêmes principes. Lorsque deux ou plusieurs personnalités différentes coexistent ou se succèdent sur un même organisme comme cela arrive dans les cas de Félida X…, de Louis V…, chez les sujets des expériences de M. Pierre Janet, il semble bien que, à un point de vue abstrait, chaque personnalité doit être déclarée responsable de ses actes ; c’est dire en somme que chaque phénomène psychique doit être rapporté au système principal dont il fait partie et interprété, jugé au moyen de ses associations harmoniques et du rapport de finalité qui l’unit à d’autres phénomènes. Mais cela est vrai seulement en tant que les deux personnalités sont différentes. Si l’acte à juger est le produit d’une tendance commune aux deux personnalités, s’il s’harmonise avec des fins identiques poursuivies tour à tour par les deux groupes dominants, il peut être rattaché aux deux et les deux peuvent en être déclarés responsables.

Dans le rêve nous avons affaire souvent à des phénomènes incoordonnés ; c’est dire que la responsabilité dans le rêve est fortement affaiblie ; cependant en tant que les actes du rêve se rapportent à nos tendances dominantes, en expriment des désirs comprimés à l’état de veille, nous n’en sommes pas entièrement irresponsables[1] ; de

  1. Voyez le travail de M. Fr. Bouillier sur La responsabilité dans le rêve.