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même, c’est le moyen criminel qu’on emploie pour y arriver, qui révèle l’anomalie morale ». Mais cela peut se dire très bien à propos du premier fait, de celui que M. Garofalo nous représente comme commis par un aliéné. Il n’y a rien d’anormal à être ennuyé par le bruit d’enfants qui s’amusent, il n’y a rien de criminel à tenter de faire cesser ce bruit ou du moins ce qui peut être criminel, ce n’est pas le but, c’est le moyen.

Ce n’est pas à dire toutefois que le criminel et le fou se confondent. Mais la différence n’est pas tant dans le défaut d’accord du processus psychique et du monde extérieur que dans les rapports d’un processus psychique déterminé avec le reste de l’esprit. Si M. Garofalo ne nous prévenait pas que Grandi est « à moitié imbécile » le fait qu’il cite pourrait être celui d’un criminel presque aussi bien que celui d’un fou, s’il n’avait été dérangé que par un seul enfant. Ici et réciproquement le fait attribué au criminel-né pouvait aussi bien, considéré en lui-même, être l’œuvre d’un fou. La différence entre le fou et le criminel, c’est que le fou est « aliéné » et que le criminel, en tant que criminel, est d’accord avec lui-même. Si l’auteur d’un acte a des sentiments ordinaires en contradiction avec cet acte, si cet acte ne présente d’autre avantage pour lui que celui de satisfaire une impulsion qui agit sans rapport avec ses sentiments dominants, ce qui indique que les impressions données par les suites de l’acte ne s’associeront pas harmoniquement avec les tendances de l’individu, comme cela se produit quelquefois dans certaines formes de monomanie ; si l’individu cherche à lutter contre le penchant qui l’entraîne, nous pourrons admettre qu’il y a folie, anomalie, aliénation plus ou moins complète, dissociation du moi et par suite irresponsabilité, soit du moi en général, soit d’une de ses parties. Si au contraire l’acte est en rapport avec le caractère de l’individu, s’il apparaît comme la conséquence logique de ses idées, de ses désirs, comme le produit de sa personnalité entière, il y a crime. M. Garofalo paraît être de cet avis lorsqu’il dit que la peine de mort « aurait l’air d’une cruauté inutile si l’on considérait les criminels comme des êtres souffrants et, par là même, ayant droit à notre pitié, à notre sympathie même, parce que le crime n’est chez eux qu’un accident de leur infirmité, non l’effet de leur caractère ou de leur tempérament ». Voilà, à mon sens, le point qu’il fallait surtout mettre en lumière, dont il fallait faire dépendre tout le reste.

Si la responsabilité de l’aliéné est amoindrie, c’est donc en tant qu’il y a dissociation, décoordination des systèmes psychiques qui composent ou devraient composer sa personnalité, c’est dire que tout ce qui reste en lui de coordonné reste, comme tel, responsable ; la