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me semble incomplète ; ce qu’elle contient de vrai paraît rentrer parfaitement dans la théorie que j’expose, et devrait être interprété dans le sens indiqué par les lois énoncées ci-dessus. L’examen de cette théorie donnera peut-être plus de précision à celle que j’expose. « Les perceptions du monde extérieur, dit M. Garofalo, produisent chez le fou ou chez l’imbécile des impressions exagérées ; elles font naître un processus psychique, qui n’est pas en accord avec la cause extérieure ; il s’ensuit une incohérence entre cette cause et la réaction de l’aliéné. C’est ce qui explique les meurtres affreux qui ont été commis pour se délivrer d’une simple sensation désagréable… de l’ennui causé par la présence d’une personne. Un certain Grandi à moitié imbécile, pour se débarrasser des enfants de ses voisins, qui faisaient du tapage dans son atelier, les attirait l’un après l’autre dans l’arrière-boutique, les y enfermait, et, la nuit venue, les y enterrait tout vivants. Il en tua de cette façon une dizaine, croyant ainsi pouvoir travailler tranquillement. Il n’avait pas eu d’autre mobile. »

Et M. Garofalo oppose au fou le criminel-né chez lequel, au contraire, « le processus psychique est en accord avec les impressions du monde extérieur. Si le mobile a été la vengeance, le tort ou l’injure existent réellement. Si c’est l’espoir d’un avantage, ce serait aussi un avantage réel pour toute autre personne. Si c’est le plaisir, ce plaisir n’aurait rien d’anormal. Ce n’est pas le but en soi-même, c’est le moyen criminel qu’on emploie pour y arriver qui révèle l’anomalie morale. Il est vrai que l’absence du sens moral ne suffit pas toujours pour expliquer certains crimes. Il vient s’y joindre parfois un amour-propre exagéré qui fait ressentir plus vivement un tort supposé ou même insignifiant. C’est ainsi qu’un certain T…, fâché de ce que son domestique l’avait quitté, le guetta au passage, et le tua d’un coup de fusil. La conduite de ce malheureux, qui n’aurait que légèrement vexé un autre à sa place, avait été pour lui un affront qui exigeait une vengeance sanglante[1]… »

Il me semble impossible de distinguer par le moyen qu’indique M. Garofalo le criminel et le fou et les deux exemples donnés font, à mon sens, ressortir cette impossibilité. En vérité je ne puis voir que l’un des processus psychiques soit plus que l’autre « en accord avec la cause extérieure » ; l’individu qui étouffe des enfants pour s’en débarrasser et celui qui tue son domestique parce que ce domestique le quitte me semblent également adaptés au monde extérieur, si nous ne les jugeons que par ces traits. Pour distinguer le criminel-né, M. Garofalo nous dit que « ce n’est pas le but en soi-

  1. Garofalo, la Criminologie, éd. française, pp. 97 98.