Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
404
revue philosophique

d’après de folles prémisses, et il fait ce qu’il ne devrait pas faire si cette idée délirante était la réalité positive ; en un mot, ce qui manque au fou, c’est la santé de l’esprit. Qui donc, par conséquent, si ce n’est le métaphysicien en adoration devant les théories et ignorant des faits, oserait déclarer dans quelle mesure précise l’acte d’un fou se rattache à son délire !

« Il y a un cas bien connu et souvent cité par les auteurs d’ouvrages de médecine légale ; c’est celui-ci : Un jeune homme frappé d’imbécillité à un certain degré, et de manières tout à fait enfantines, avait la passion des moulins à vent. Il aurait fait n’importe combien de lieues pour aller voir un moulin à vent ; il s’asseyait à quelques pas de la merveilleuse machine et serait demeuré des journées entières à la voir tourner. On espéra le guérir de sa manie en le dépaysant et on l’emmena dans un endroit où il n’y avait point de moulins à vent. Un jour il mit le feu à la maison où il résidait. Un autre jour il entraîna un enfant dans un bois voisin, et en essayant de le tuer lui coupa et lui mutila les jambes de la plus horrible manière. Avant ces deux attaques il n’avait jamais montré de penchants dangereux. Tous les professeurs de logique et de philosophie morale de l’Angleterre pourraient se torturer l’esprit sans probablement découvrir le motif qui portait cet imbécile à de telles atrocités. Ce motif était pourtant bien simple : le malheureux n’avait commis ces deux crimes que pour qu’on fût forcé de le ramener dans le voisinage de ses moulins à vent[1]. »

Au fond l’incohérence n’est pas si complète que le prétend Maudsley ; dans le cas même qu’il cite, il n’est pas difficile de retrouver une certaine logique, qui n’est pas évidemment celle de l’homme sain, de même que celle des hommes sains n’est pas toujours celle de l’homme raisonnable. Il semble que la logique du fou emprunte sa forme propre à la disparition, à l’oubli d’un certain nombre de considérations, de motifs, d’idées, de sentiments, de tendances qui chez l’homme sain viennent influer sur le jugement et sur les actes. En un mot, la systématisation de l’esprit, de relativement générale, devient relativement partielle ; les actes, les idées sont déterminés par des systèmes moins complexes de phénomènes psychiques, comme chez le dormeur ou l’hypnotisé ; de tout ce que nous avons déjà dit, il résulte que la responsabilité doit être soit détruite, soit diminuée, ou transportée de l’ensemble aux éléments.

M. Garofalo a exposé à propos de la différence de l’aliéné et du criminel-né une théorie que nous devons à présent examiner, et qui

  1. Maudsley, Le crime et la folie, pp. 206-207.