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p. paulhan. — la responsabilité

Au point de vue de la coordination le problème présente encore bien des difficultés ; toutefois si l’application de la règle générale que nous avons indiquée à tous les cas particuliers est fort difficile, si le degré de responsabilité de tel ou tel individu ne peut être déterminé qu’avec beaucoup de peine et au moyen d’investigations minutieuses et répétées, la règle générale paraît bien établie et l’on peut en suivre les principales conséquences.

Il est certains aliénés pour lesquels l’irresponsabilité du moi est à peu près complète : ce sont ceux chez qui la personnalité s’est à peu près dissoute. Les déments, les malades atteints de la paralysie générale au dernier degré sont dans ce cas. Leurs actes, lorsqu’ils peuvent encore en commettre, ne sauraient être imputés à une personnalité qui n’existe plus. Les fragments d’idées, les ébauches de pensées, les vagues rudiments d’actes qu’on peut remarquer encore en eux sont sans signification morale, puisqu’ils ne se rapportent à aucun ensemble et que par eux-mêmes ils ne paraissent présenter en général aucun caractère qui les rende dignes d’éloge ou de blâme. Si cependant, dans la démence, nous voyons persister ou renaître une tendance bien marquée, mauvaise ou bonne, il n’y a qu’à lui appliquer la règle énoncée ci-dessus au sujet de la responsabilité des systèmes psychiques et de son rapport à la responsabilité du moi. La personnalité du dément peut n’exercer ici en ce cas aucune responsabilité, mais la tendance qui reste en activité nous apparaît encore comme moralement bonne ou mauvaise, comme digne d’éloge ou de blâme. À un autre point de vue, elle peut servir à porter un jugement sur la personnalité passée, disparue, qui peut en être à quelque degré responsable, en un sens ou dans l’autre, selon que, en son temps de puissance, elle l’a développée ou enrayée.

Nous disons encore qu’un fou ne doit pas être tenu pour respon. sable des actes qui ne dérivent pas logiquement de ses tendances, quelles que soient d’ailleurs ces tendances. Ici la question est très compliquée. « En fait, dit M. Maudsley, il n’est pas exact qu’un fou raisonne et agisse logiquement d’après les fausses prémisses de son délire… Ce qui rend si difficile de soigner les fous, ce qui constitue le grand souci des fonctionnaires d’un asile, c’est que, tout en sachant ce qu’un fou pense, on ne peut pas prévoir ce qu’il va faire ; on peut connaître parfaitement son délire, on ne peut pas suivre l’opération de ce délire dans son esprit et prévoir à quels actes il le portera ; il y a chez le fou incohérence dans les idées, et il y a aussi incohérence entre les idées et les actes. Le mot si connu de Locke qu’un fou raisonne correctement sur des prémisses fausses est certes loin d’être vrai dans tous les cas. Souvent le fou raisonne follement