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raît ainsi comme un corollaire des deux lois que nous avons précédemment énoncées.

La responsabilité, dans les états morbides, se mesure comme dans l’état normal par la coordination des phénomènes. Plus cette coordination est forte, plus la responsabilité est grande ; plus cette coordination est faible, plus la responsabilité l’est aussi. Je pense donc qu’il n’y a pas de règle générale pour fixer la nature de la responsabilité dans l’état morbide, dans tel ou tel genre de folie. C’est une affaire à examiner pour chaque cas en particulier : la conclusion sera dictée par les résultats de l’enquête faite sur l’état psychique de l’individu, et aussi, bien entendu, sur son état sanitaire, ses conditions d’existence, son hérédité, en tant que ces diverses conditions peuvent influer sur son état psychique. Et une réflexion qui se présente forcément à ce sujet, c’est que l’examen de l’état mental de l’inculpé serait autant de la spécialité du psychologue que de celle du médecin, si la psychologie était plus avancée comme science positive.

Souvent d’ailleurs les médecins se placent au point de vue que nous indiquons ici ; malgré l’opinion régnante en faveur du libre arbitre et de son importance pour la réalité, c’est bien souvent la raison, c’est-à-dire la coordination, la systématisation des phénomènes qu’ils ont recherchée. Bien plus quand ils nient l’existence du libre arbitre, ils se fondent spécialement sur l’absence ou la qualité inférieure de cette systématisation. Cependant il n’y a rien à en conclure au sujet du libre arbitre. Si le libre arbitre existe, l’homme peut aussi bien l’employer à des actions incohérentes qu’à une conduite régulière. Mais en fait on confond le libre arbitre et la raison ou la sagesse, l’équilibre harmonieux des tendances. On suppose que l’homme, doué du pouvoir de choisir entre plusieurs actes, choisit naturellement, librement, le plus raisonnable, et l’on ne s’aperçoit pas que l’on substitue ainsi au libre arbitre un déterminisme particulier, le déterminisme d’une série de phénomènes coordonnés, associés vers une fin commune. Il n’y a, en somme, aucune autre raison pour supposer que le libre arbitre, entendu comme bifurcation possible et indéterminée dans la série des phénomènes, ambiguïté réelle des futurs, appartienne plutôt à la raison qu’à la folie ; si cette ambiguïté existe réellement en certains cas, ces cas doivent se présenter pour le fou comme pour le sage. Rien au moins ne nous autorise à croire le contraire. Et d’un autre côté, en dehors de cette conception le libre arbitre n’existe plus, ou, si l’on veut, la liberté ne s’oppose plus au déterminisme, le déterminisme supposant seulement que par un ensemble donné de conditions, il n’y a qu’un phénomène conséquent possible.