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étroitement à ce rapport avec le moi qui est ici supprimé. Ceci arrive quelquefois, mais pas toujours. L’acte de saluer, par exemple, ou de ne pas saluer, pris en lui-même ne signifie à peu près rien, et n’a une valeur positive ou négative que par l’intention, c’est-à-dire par son rapport avec les tendances du moi, avec l’ensemble des autres faits psychiques. Au contraire la tendance à l’emportement, l’irritabilité a par soi une valeur morale, si, ordinairement comprimée, presque détruite, elle se réveille mal à propos chez quelqu’un sous l’influence de certaines circonstances ; nous pouvons bien ne pas faire porter à cette personne la responsabilité de sa colère, mais la colère injuste ne nous en paraîtra pas moins, prise en elle-même, un acte blâmable. La solidarité entre les divers systèmes psychiques est rompue en fait, mais toute responsabilité ne peut reposer que sur une solidarité, une unité de force consciente ou inconsciente, voulue ou involontaire ; il serait donc injuste de faire supporter aux autres éléments psychiques la responsabilité d’un élément qui agit sans solidarité avec eux, mais c’est à lui-même que nous appliquerons un jugement moral, en tant que lui-même se compose d’éléments coordonnés, solidaires, et orientés vers une même fin.

Remarquons que même alors que l’incoordination générale est moindre, nous savons fort bien distinguer dans un même individu plusieurs grands systèmes psychiques et, en fait d’appréciation morale, rendre à chacun ce qui lui appartient. Nous trouverons, par exemple, que tel magistrat manque de fermeté ; cela ne nous empêchera pas d’apprécier en lui les qualités du père de famille et aucun des deux systèmes psychiques ne sera confondu avec l’autre dans notre jugement ; ces deux systèmes étant réunis, juxtaposés, faisant partie d’un même cerveau, nous pouvons les réunir par notre langage et dire que telle personne est louable en ceci et blâmable en cela, ou plus justement, en certains cas, que chez une personne ceci est louable et cela blâmable, la distinction essentielle et l’application particulière de nos jugements n’en subsiste pas moins. En fait nous ne faisons pas porter à un système la responsabilité, j’entends la responsabilité morale, de l’activité des autres systèmes psychiques avec lesquels il n’est pas logiquement et téléologiquement associé.

Il est une manière de voir assez répandue et que nous pouvons interpréter ici dans le sens de notre théorie. C’est une occasion de la préciser davantage et de voir comment elle se rapproche et comment elle s’éloigne de la commune manière de sentir et de juger. Il n’est pas rare d’entendre, lorsqu’on parle d’une personne et que le cours