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p. paulhan. — la responsabilité

blâme ; il n’est pas, ou presque pas responsable de son action, non pas seulement parce qu’elle est insignifiante — rien en somme n’est insignifiant au point de vue moral, — mais parce qu’elle n’a pas de rapport avec le moi. Le moi, il est vrai, est responsable de sa distraction, mais il n’est pas responsable des suites qu’elle peut avoir accidentellement, si sa distraction a un motif légitime et s’il a le droit de penser que cette distraction ne doit pas avoir de suites graves. Si au contraire les suites de la distraction peuvent être très graves, si elles dérivent logiquement de la distraction — comme, par exemple, pour un aiguilleur de chemin de fer, — si, par conséquent, l’individu pouvait et devait les prévoir, il est responsable et de sa distraction et des suites qu’elle a eues, — à moins qu’une responsabilité supérieure en le plaçant dans des conditions trop défavorables n’ait diminué ou détruit sa responsabilité.

La fatigue, la maladie, les préoccupations, etc., peuvent affaiblir l’esprit, diminuer sa cohérence ; elles affaiblissent corrélativement la responsabilité du moi. J’en dirais autant de l’ivresse si l’homme qui s’est enivré ne connaissait pas les propriétés du vin. Mais on peut ajouter aux états précédents le rêve, le somnambulisme, la folie. Nous aurons à revenir plus tard sur quelques-uns de ces états. En tout cas s’ils affaiblissent, sans peut-être la supprimer tout à fait, comme nous le verrons, la responsabilité du moi, ces états ne diminuent en rien la responsabilité des éléments, ils l’augmentent plutôt en leur faisant passer une partie de la responsabilité qui incombait auparavant à la personnalité considérée comme un tout. Les jugements que nous portons en ce cas s’appliquent aux tendances considérées isolément plutôt qu’à la personne, bien que le langage n’indique pas toujours cette distinction que d’ailleurs, inversement, j’exagère ici pour plus de clarté et sur laquelle il faudra revenir. Ainsi souvent nous ne rendons pas une personne responsable de certains tics, de certaines tendances qui nous sont désagréables, mais qui ne font pas, pour ainsi dire, partie de sa personnalité, qui ne sont pas un produit ou un accompagnement logique de l’ensemble systématisé qui domine généralement en elle. À plus forte raison nous ne la rendons pas responsable, sous la réserve indiquée tout à l’heure, de ses oublis, de ses distractions, de ses incohérences de langage ou d’actes lorsqu’ils sont passagers. Mais nous pouvons tout aussi bien apprécier en eux-mêmes ces éléments dont la personne ne nous paraît pas responsable, les trouver bons ou mauvais, non par leur rapport avec le moi, puisque ce rapport n’existe pas ou est si faible que nous n’en tenons pas compte, mais en les considérant en eux-mêmes et pour eux-mêmes et en tant que leurs qualités ne tiennent pas