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Réfléchissons-y pourtant ; si la base de la responsabilité c’est la coordination psychique, partout ou nous trouverons cette coordination, nous trouverons la responsabilité en un caractère identique que l’on désignera peut-être d’un autre nom. En somme la responsabilité des éléments psychiques est à la responsabilité de l’individu ce que la responsabilité individuelle est à la responsabilité sociale. Mais de plus, si la marque de la responsabilité d’un ensemble psychique c’est l’appréciation morale que nous en faisons, il n’y a pas de doute que nous attribuions souvent, et à juste titre, tel ou tel caractère moral à telle tendance, à telle habitude, à telle qualité, à tel défaut que nous remarquons chez une personne. Nous louons chez quelqu’un une tendance à la générosité, nous blâmons un goût exagéré de certains plaisirs. Je sais bien que le fait est susceptible de plusieurs interprétations, mais les données de la psychologie me paraissent devoir faire accepter celle que j’indique ici.

À l’état normal, la division des systèmes psychiques est relativement peu accentuée. Cependant elle existe, il est facile de la remarquer. II est facile d’observer aussi que, dans ce cas, nous ne rendons pas la personne entière absolument responsable de ce que vient de faire un des systèmes psychiques qui coexistent en elle. C’est en ce sens qu’il faut interpréter l’exemple indiqué plus haut. Bien souvent nous excusons chez un homme des mots, des actes insignifiants qui ne sont pas des actes réfléchis, des produits de la personnalité entière, qui proviennent de la mise en jeu isolée d’une tendance peu importante de l’individu. C’est ainsi que nous ne pouvons raisonnablement en vouloir à une grande nation, si l’un de ses membres, sans situation officielle, sans mandat, agissant d’une manière indépendante, vient à nous léser en quelque chose. Les circonstances qui tendent à détruire la cohésion de l’esprit, à favoriser l’activité indépendante des systèmes psychiques nous paraissent ainsi diminuer la responsabilité du moi, à une condition pourtant, condition essentielle, c’est que le moi ne puisse être blâmé pour la production de cette condition même. Si par exemple un promeneur absorbé par une préoccupation importante oublie[1] de rendre un salut, ou au contraire salue une personne qu’il ne connaît pas, la prenant pour une autre, il n’est digne dans ce cas ni d’éloge ni de

  1. On pourrait me faire remarquer qu’il y a dans ce cas concentration, et non relâchement du moi, mais cette concentration a pour effet précisément d’empêcher un lien de s’établir entre le moi et les perceptions qui, suscitées par les objets extérieurs, tendent a arriver jusqu’à lui, d’isoler plus ou moins ces perceptions, d’empêcher leur coordination avec des tendances du moi, surtout avec des tendances complexes.