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p. paulhan. — la responsabilité

qui paraîtra agir contre ses désirs, contre ses tendances. Avoir de mauvaises passions et les dominer paraît réellement le plus haut degré de la moralité. D’après le principe généralement adopté, le vrai mérite se trouverait chez l’élève paresseux qui cependant fait par-ci, par-là, une moitié de thème, chez l’ascète qui regrette perpétuellement les plaisirs dont il se prive, etc. Il y a là une exagération manifeste, mais elle n’est pas dans les exemples que je présente, elle est dans la doctrine admise.

Pour la psychologie déterministe, on ne résiste à une passion qu’avec une autre passion, en général, ou avec une idée, avec une organisation acquise et solide, avec quelque chose enfin qui soit capable de lui résister. L’effort a ses conditions psychologiques comme tous les phénomènes psychiques. Il serait facile de constater qu’il y a, chez tous les individus qui font un effort moral, un sentiment ou une idée qui détermine cet effort, ou qui, au moins, en est une des conditions. De plus, la faculté même de faire effort paraît inhérente à certaines personnalités ; il est des gens qui aiment à remonter les courants, qui ont une sorte de penchant à la lutte qu’il leur faut satisfaire et qui, à défaut de mieux, combattent contre eux-mêmes. Résister à leurs passions, refuser satisfaction à leurs désirs est une sorte de besoin pour certains esprits en qui prédomine le mode particulier d’association qui est l’association par contraste[1]. Il est hors de doute que pour diverses raisons l’effort est beaucoup plus facile à certaines personnes qu’à certaines autres, et que faire effort pour quelques-unes c’est réellement s’abandonner à une tendance dominante : le désir de la volonté obéie, de l’empire sur soi-même.

Mais si l’effort n’a rien de commun avec le libre arbitre, il ne s’en suit pas qu’il n’ait aucune signification morale. Ce que nous venons de dire même indique qu’il exprime une certaine manière d’être de l’esprit, passagère ou permanente. Cette disposition de l’esprit, c’est une organisation parfaite des éléments psychiques qui permette de les réunir tous à un moment donné contre une tendance qui ne s’harmoniserait pas avec l’ensemble du moi, tout en étant très capable de s’associer systématiquement un certain nombre de ses éléments. L’effort indique une volonté affermie, par conséquent le pouvoir d’arrêter une tendance, et, au lieu de la laisser se développer librement, de la mettre en rapport avec tous les éléments du moi, ou avec ceux qui le représentent, afin de dégager de ce conflit un phénomène, action ou absence d’action, qui exprime bien la nature

  1. Voir l’Activité mentale et les éléments de l’esprit.