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matisation plus grande entre le mot lui-même, sa signification, ses conséquences et les phénomènes psychiques qui se produisent simultanément ou un peu avant chez le même individu et qui seraient en ce cas la volonté d’être désagréable, la tendance à blesser, le désir d’une provocation, d’une vengeance, etc.

Ainsi l’intention nous apparaît non pas comme une condition essentielle de la responsabilité, mais comme un élément qui peut quelquefois la rendre plus grande, précisément parce qu’il suppose une coordination étroite d’un acte avec les idées et le désir qui l’accompagnent et le précèdent et une intervention plus grande de l’ensemble du moi. Mais de même que la responsabilité peut exister sans l’intention, de même l’intention peut exister sans que la personnalité soit gravement engagée. Reprenons en effet l’exemple de tout à l’heure en renversant les conditions. Il se peut que l’on dise à quelqu’un, avec l’intention bien nette de lui être désagréable, une dureté que l’on ne pense pas au fond être très juste. Si ce fait n’est pas le produit d’une tendance permanente, d’une attitude ordinaire du moi, si elle est comme nous le supposions tout à l’heure le produit d’un moment de fatigue, d’énervement légitimes, si la parole prononcée ne concorde pas avec les sentiments que nous éprouvons à l’égard de la personne à qui nous parlons, si cette personne ne peut se tromper sur le caractère de notre acte, si cet acte enfin est rare, exceptionnel, notre responsabilité, malgré l’intention, n’est pas bien gravement engagée. Nous verrons plus loin que, dans certains cas même, la responsabilité de la personne peut faire place, presque entièrement, à la responsabilité des éléments psychiques. L’intention ne saurait donc être ni la condition nécessaire, ni la condition suffisante d’une grande responsabilité morale. Si elle contribue en quelque chose à la responsabilité, c’est en tant précisément qu’elle implique coordination d’éléments psychiques, orientation d’éléments divers vers un même but.

Nous arrivons, pour l’effort, à un résultat analogue. On attribue à l’effort une vertu morale particulière, soit parce que l’on considère que c’est par l’effort, surtout, que la personnalité s’affirme, soit parce que l’effort paraît le signe de la liberté. Nous aurons plus loin l’occasion de revenir sur le libre arbitre envisagé au point de vue de l’indétermination des futurs, et nous tâcherons de montrer dans le déterminisme un véritable postulat de la morale autant que de la science ; bornons-nous ici à signaler ce point particulier de l’effort.

Il est très commun d’entendre dire que quelqu’un n’a pas de mérite à avoir telle ou telle qualité parce que « il est fait comme cela », « c’est son caractère » ; au contraire, on admirera quelqu’un