Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/397

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
393
p. paulhan. — la responsabilité

le pense, il est bien difficile d’apprécier avec exactitude le degré de coordination des tendances, la systématisation de tous les éléments psychiques, tendances et idées, émotions, et par suite la responsabilité et la criminalité d’un homme[1].

La même théorie nous permet encore de nous expliquer, sans l’accepter, mais en en retenant quelque chose, l’importance accordée à certains faits dans les croyances sur la responsabilité. L’intention est considérée comme indispensable pour que la responsabilité soit établie, l’effort est souvent regardé comme la condition du mérite. Les croyances acceptées à cet égard contiennent beaucoup d’observations vraies et il y a quelque chose à retenir dans l’interprétation de ces observations, mais le sens général de cette interprétation doit, me semble-t-il, être modifié.

À notre point de vue, l’intention n’est pas nécessaire pour créer la responsabilité ; il suffit que la personnalité et l’acte soient unis par un rapport de finalité. Un homme dit par mégarde à un autre, sans intention formelle de lui être désagréable, sans vouloir le fâcher, par inattention, étourderie, énervement, un mot très blessant. Si ce mot n’est qu’une forme passagère de mauvaise humeur, s’il n’est pas en harmonie avec les sentiments solides et permanents de celui qui l’a prononcé, on ne devra point tenir celui-ci pour responsable de ses paroles. Sinon, si le mot exprime bien les sentiments de la personne qui l’a dit, il paraît évident que cette personne devra en être considérée comme responsable, malgré l’absence de l’intention, dans la mesure même où ce mot exprime sa personnalité, s’harmonise avec elle. On doit admettre toutefois que l’absence d’intention diminue quelque peu la responsabilité. En effet, elle affaiblit le lien qui existe entre la personnalité et l’acte, puisque l’intention suppose une systé-

  1. Une question un peu subtile, mais qui pourrait avoir son intérêt et même son importance pratique, est la suivante : Que devient la responsabilité lorsqu’un second accident vient détruire l’effet du premier et permet l’accomplissement de l’acte ? Un homme, par exemple, frappe un autre homme avec un couteau, le coup est dirigé vers le cœur, bien dirigé, mais l’arme rencontre un obstacle quelconque, glisse sur la peau, fait une légère écorchure. Voilà le meurtre évité en apparence. Le couteau, à l’insu du meurtrier, était sale, la plaie, insignifiante en apparence, est négligée, s’envenime, le blessé meurt. D’après ce qui a été dit, la responsabilité ne serait ni aussi complète que dans le cas de réussite directe, ni aussi atténuée que dans le cas de non-réussite absolue. Il est sûr que les opinions sur ce point varieraient avec les opinions que l’on pourrait se faire de la coordination des faits, et du plus ou moins de logique que l’on verrait dans leur enchaînement ; la responsabilité atténuée pour le juré qui considérerait la malignité de la plaie comme un simple accident, le serait moins peut-être pour un chirurgien habitué à l’antisepsie et qui considérerait la mort provenant d’une blessure faite avec un instrument non désinfecté comme une chose sinon prévue, au moins possible à prévoir et qu’on devrait prévoir.