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p. paulhan. — la responsabilité

sentiments qui sont la représentation dans l’individu et l’appréciation par l’individu des conséquences de l’acte.

Cette loi permet de se rendre compte, semble-t-il, de certains faits qui paraissent paradoxaux. On sait que la nouvelle école italienne de criminologie a insisté sur ce point que l’auteur d’une tentative criminelle qui a échoué par des raisons indépendantes de sa volonté, était aussi coupable que si sa tentative avait réussi, et punissable de même. Cette théorie va contre un sentiment très répandu et assez solide. Ce n’est pas une raison de la tenir pour fausse, mais pour quelqu’un qui admet la réalité des instincts sociaux comme celle des autres instincts, c’est peut-être une raison de la tenir pour suspecte. M. Tarde a donné une explication de cet instinct, et en un sens, à quelques égards au moins, une justification. Ses raisons me semblent bonnes ; il faut, je crois, en ajouter une autre. « Même inexécutée, dit-il, la tentative ou la suggestion qui révèle une tendance criminelle signale un péril social ; seulement ce péril est double s’il y a eu exécution, puisqu’à l’habitude criminelle naissante s’ajoute l’exemple criminel naissant, l’un et l’autre à comprimer.

« Mais, à vrai dire, cette distinction ne donne pas la vraie raison de la difficulté qu’il y a à se mettre dans l’esprit, et à mettre dans l’esprit des juges et des jurés, l’identité établie par Garofalo et par plusieurs législations entre certains crimes ou délits et leur tentative avortée par hasard. Si l’on cherche à s’expliquer l’indulgence que tout jury, tout tribunal même, a eue et aura toujours pour l’auteur d’un assassinat manqué ou d’un vol non réussi, on verra qu’elle se fonde sur le sentiment inconscient que nous avons tous de l’importance majeure qu’il faut accorder à l’accidentel, au fortuit dans les faits sociaux… Nous nous habituons, au cours de la vie, à admettre que rien n’appartient aussi légitimement à un homme que sa chance bonne ou mauvaise, et le lot de récompenses ou de peines attaché à son numéro de loterie. Eh bien, lorsque l’auteur d’une tentative d’assassinat empêché par une circonstance involontaire est traduit devant les assises, c’est, semble-t-il, une bonne fortune pour lui et non pas seulement pour sa victime que son fusil ait raté, que la mèche allumée de sa main pour faire éclater la dynamite sur le passage d’un train royal se soit éteinte en route. Sa criminalité a beau être la même que s’il eût accompli son projet ; sa bonne fortune est ou paraît être aux yeux de tous sa propriété incontestable. On se dit vaguement — en vertu d’une sorte de symétrie constante, quoique inconsciente, injustifiable mais inextirpable — que lui nier cette propriété-là conduirait logiquement à nier aussi bien la plu-