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sent que le libre arbitre ne peut être vérifié par l’expérience — surtout par l’expérience objective, par l’observation d’un homme qu’on ne peut examiner à l’aide de son sens intime. Aussi, au lieu du libre arbitre, c’est quelquefois la raison qu’on recherche, et même l’on passe facilement de l’un à l’autre, quelquefois on les confond, bien qu’il n’y ait rien, en somme, je ne dirai pas seulement de plus différent, mais de plus opposé, et même de plus contradictoire. Au reste, toutes ces recherches ont leur valeur ; pour le psychologue et le philosophe, elles ont fourni un nombre considérable de faits, de remarques, d’idées, mais il faut bien reconnaître que si elles peuvent inspirer une doctrine, elles ne la contiennent pas.

D’autre part, il ne semble pas possible de se passer de l’idée de responsabilité ; pour quelques adeptes du déterminisme, on écarterait les criminels de la société comme on ôte une pierre de son chemin, sans haine et sans colère, quelques-uns même s’apitoieraient volontiers sur leur compte et réserveraient toutes leurs colères pour l’état social qui les a produits, oubliant dans leur indignation, qui n’est pas d’ailleurs absolument injuste, que si l’homme est irresponsable comme soumis au déterminisme, la société, pour la même raison, ne doit pas avoir plus de responsabilité que l’individu même, puisque ses actes à elle sont déterminés comme les siens.

À mon sens, ce n’est pas comme indéterminés ou déterminés que nos actes engagent notre responsabilité. Le problème est mal posé, et ne comporte pas, sous cette forme, de solution précise. La responsabilité n’est pas une question de causalité, c’est une question de finalité. Ce qui la fonde c’est la solidarité des diverses tendances qui forment l’individu, des divers individus qui forment la société. À ce point de vue, on peut, je crois, rendre compte de la responsabilité, donner une raison d’être à certains de nos sentiments moraux et aussi distinguer la responsabilité de l’irresponsabilité, établir une différence entre le criminel et le fou. À de certains égards, la croyance commune sur l’irresponsabilité, « l’inconscience », comme on dit avec une précision insuffisante, sera donc confirmée, mais cette croyance à côté d’une part de vérité paraît contenir une erreur grave, que nous aurons à signaler.

La sanction se rattache étroitement à la responsabilité, — la responsabilité établit le caractère moral de nos sentiments, de nos actes et indique quelles doivent en être, moralement, les conséquences. Ces conséquences, en tant que nous les subissons, sont la sanction même. Cette sanction existe naturellement à quelque degré, par cela seul que l’homme et la société sont, à quelque degré, des touts systématisés. Mais cette sanction naturelle ne suffit pas, la sanction arti-