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gauche, et qu’il soit capable de copier sans hésitation, de façon un peu grossière, les mots quels qu’ils soient qui sont écrits sur un papier devant lui, il ne peut pas écrire un simple mot de lui-même ou sous la dictée, même pas une seule lettre. L’excitation auditive ne franchira pas le chemin barré[1], en sorte qu’il n’y a pas moyen de réveiller la partie correspondante des centres visuels, ou, par conséquent, du centre kinesthétique. Sur cette route, l’idée des mouvements de l’écriture ne peut être ranimée ; le résultat, c’est que l’homme ne peut même essayer de former une simple lettre. Mais l’embarras de son œil et la passiveté de son état font place à la joie lorsqu’il voit le mot écrit, et immédiatement il se met à le copier ; tout de même que, dans la tentative antérieure, son regard avide s’attache au mot qu’il cherche, sans y réussir, à articuler ; mais, dès l’instant qu’il entend prononcer ce même mot, et par là reçoit une image auditive, il devient capable de l’énoncer correctement.

Un trouble dans les commissures mettant en connexion les centres auditifs avec les centres giosso-kinesthétiques correspondants, l’empêcherait semblablement de lire ou de nommer à vue, comme aussi il entraînerait la perte de la parole spontanée ; et une interruption dans les voies unissant les centres visuels aux centres kinesthétiques de la main correspondante, rendrait pareillement impossible l’écriture sous la dictée ou l’écriture spontanée[2].

Ici, donc, nous touchons véritablement aux sources de la volonté. L’origine de la force employée à produire les contractions musculaires appropriées doit être cherchée dans les activités moléculaires issues de ces centres sensitifs. Nous en avons la preuve dans ce fait que, dans les cas que j’ai rapportés plus haut et dans les cas similaires, nous voyons des personnes vouloir, mais ne pouvoir exécuter avec succès certains mouvements d’élocution, à l’instigation d’impressions visuelles appropriées, et toutefois conserver la faculté de produire ces mouvements en réponse à des excitations auditives appropriées ; et, d’autre part, nous voyons des personnes, incapables d’effectuer les mouvements de l’écriture, lorsque le stimulus est auditif, capables d’accomplir immédiatement ces mêmes mouvements lorsque des impressions visuelles les y invitent.

Relativement a l’origine de l’énergie employée dans la production

  1. Dans la réflexion silencieuse (et par suite cela est vrai de l’écriture spontanée), la mémoire du mot qui est la première à renaître est, je crois, chez la grande majorité des personnes, celle qui est enregistrée dans les centres auditifs.
  2. Voir un article sur différentes espèces d’aphasies dans le Brit. med. journal, 29 octobre et 5 nov. 1887.