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sent ou entrevu, ou d’écarter quelque peine présente ou future, nous éprouvons le désir d’effectuer certains mouvements définis, les idées ou images de ces mouvements étant excitées ainsi que James Mill l’a originalement montré, comme des anneaux sensoriels presque subsconscients dans la chaîne de nos pensées.

De tout ce qui a été dit jusqu’à présent, deux conclusions importantes peuvent être dégagées. D’abord, un sentiment d’effort est lié au conflit d’idées et de motifs qui précède la prépondérance de l’un d’entre eux ; et ce sentiment d’effort doit partout être l’apanage de l’activité des centres sensoriels et de leurs annexes, concourant à l’exercice de nos processus intellectuels. Il n’y a aucune bonne raison de croire que l’action des muscles ait quoi que ce soit à faire avec la production de ce sentiment particulier d’effort[1].

En second lieu, l’acte de vouloir un mouvement déterminé consiste essentiellement en un consentement (après balance des raisons qui peuvent exister pour ou contre) à la production d’un tel mouvement ; le mouvement lui-même étant en même temps mentalement représenté par certaines sensations ressuscitées ; c’est de cette représentation ressuscitée que, il y a bien longtemps, James Mill disait qu’elle est « la dernière partie de l’opération mentale ». Que le mouvement ait ou n’ait pas lieu, c’est, dans une certaine mesure, une chose accessoire, et sa production est absolument en dehors du processus mental lui-même.

Voyons maintenant d’un peu plus près ces derniers anneaux de la chaîne d’association — cette « dernière partie, en d’autres termes,

  1. Il y a une autre source du sentiment de l’effort, intimement liée à l’activité de nos muscles. Son origine doit être cherchée dans l’afflux des impressions sensorielles de toutes sortes dont le terme et le siège d’enregistrement sont les centres kinesthétiques de chaque hémisphère cérébral. C’est là, Wundt l’admet complètement, mais non pas Bain, une origine du « sentiment de l’effort ». À mon avis, cette question déjà suffisamment complexe a été encore embrouillée par le récent travail de Waller, intitulé : « Le Sens de l’effort ; étude objective » (Brain. 1891, pp. 179-249). Ce titre me semble particulièrement malheureux, à plus d’un point de vue. Malgré l’intérêt de beaucoup de ces expériences et le soin avec lequel elles ont été accomplies, elles ne me semblent pas toucher la question de l’origine du « sens de l’effort » au sens que les physiologistes donnent à ce mot. Je ne trouve en ce travail aucune raison décisive de modifier sur ce point ma manière de voir, et bien plus il s’y trouve des façons d’exposer ma doctrine auxquelles je ne puis souscrire. Je soutiens que le fonctionnement du muscle lui-même, des nerfs moteurs et des centres moteurs sont de simples processus physiologiques, privés de tout accompagnement subjectif. C’est pourtant dans les événements consécutifs à la mise en exercice de ces appareils que Waller prétend voir des événements « identiques ou semblables ou parallèles aux substrats matériels des phénomènes de sensation concomitants » (p. 142). À mon avis, le travail de Waller doit être regardé uniquement comme une contribution à l’étude de ce que l’on appelle la « fatigue physiologique ». — C’est du reste ce que paraît indiquer le sous-titre.