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charlton bastian. — attention et volition

(renforcement dû au mélange d’impressions auditives et kinesthétiques produites), et nous nous aidons ainsi à développer le sujet sur lequel nous avons jusque-là médité. Combien efficace est ce mode de contrôle, on peut s’en rendre compte par le surcroît de puissance que nous acquérons en ce sens lorsque nous appelons l’écriture à notre secours, et que nous parvenons à maintenir la trame désirée de réminiscences et à la renforcer par l’addition d’impressions sensibles d’ordre visuel et kinesthétique. Nous savons pour la plupart avec quelle facilité nous conservons à nos pensées une certaine direction déterminée, avec quelle facilité même nous les développons, lorsque nous les contions à l’écriture : résultat surprenant, si on le compare à ce qui arrive quand nous négligeons d’invoquer cet appui étranger.

Ainsi, soit que nous cherchions à modifier ou à maintenir et à développer une suite de pensées déterminée, nous appelons à notre secours le plus grand nombre possible d’impressions nouvelles — impressions qui sont de nature différente, s’il s’agit pour nous de chasser ou d’interrompre une suite commencée de réminiscences, — de même nature ou de même famille lorsque nous désirons fortifier et développer les associations auxquelles nous nous sommes jusque-là appliqués.

Ce qui a été dit plus haut peut sembler à première vue venir à l’appui de la théorie exprimée par Bain[1], que « toute intervention de la volonté dans nos suites de pensées est une intervention musculaire » de nature directe, en sorte que, comme il le prétend[2], « la rétention d’une idée dans l’esprit est opérée par les muscles volontaires ». Cela, toutefois, ne saurait être admis. La volonté, comme nous l’avons dit, n’opère par les muscles que d’une manière indirecte ; en d’autres termes, les actions musculaires auxquelles nous avons recours donnent lieu à des impressions centripètes, et ce sont celles-ci qui, suivant leur nature, peuvent briser ou renforcer les suites préexistantes d’association. En d’autres termes, il y a substitution ou renforcement des chaînes de pensées antérieures ; mais, dans les deux cas, l’effet produit est strictement conforme aux lois de l’association.

Il est donc parfaitement exact de dire que l’excitation des muscles (plus spécialement ceux de nos organes des sens, ou ceux mis en jeu dans le langage) est la préface essentielle de toute direction ou contrôle de nos pensées, — bien que cette direction ou ce contrôle

  1. Les sens et l’intelligence, p. 421 de la 2e éd. ang).
  2. Loc. cit., p. 370.