Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/374

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
370
revue philosophique

L’esprit humain est ainsi, suivant l’appellation de Leibniz, « un miroir du monde », pour autant que le monde nous est révélé.

De plus, il est bien entendu que, lorsqu’il s’agit de modifier ou d’aitérer la suite des associations, le pouvoir des impressions directes est plus efficace que celui des impressions simplement remémorées. Conséquemment, lorsque nous sommes en train de parcourir une chaîne de réflexions abstraites, une impression vive survenant du dehors tendra à éveiller des associations de même nature et troublera ainsi la série antérieure des pures réminiscences.

Si nos réflexions portent sur un sujet exigeant l’observation externe, et où les deux sens qui jouent un rôle sont naturellement actifs et réceptifs, les impressions vives que nous recevons par leur intermédiaire suffisent à fixer notre attention et à régler le cours de nos réflexions. Si nous voulons détourner notre attention de l’un de ces deux groupes de sensations fortes pour pouvoir suivre un autre courant d’idées, il nous est loisible de détourner les yeux, de nous boucher les oreilles, et d’éliminer ainsi les impressions qui nous troubleraient. Souvent, dans la réflexion abstraite, nous fermons naturellement les yeux, nous observons le silence, nous gardons une immobilité parfaite, de façon à ne laisser troubler par aucune impression venue de dehors la trame de nos associations.

En pareil cas, nous nous enfermons dans le domaine des pures réminiscences, des impressions anciennes remémorées et des activités intellectuelles qui s’y rattachent.

Tant que dure un tel processus, des portions de la presque totalité de la couche corticale peuvent être maintenues dans un état d’activité consciente ou subconsciente ; car, avec « la rapidité de la pensée », les éléments moléculaires suivent d’innombrables trajets définis ou routes d’associations entre tel ou tel groupe de cellules ganglionnaires. L’activité nerveuse a une tendance, dans chaque cas, à prendre, surtout à suivre avec la plus grande facilité celles de ces voies qui ont été jusque-là le plus souvent parcourues ; en d’autres termes, elle suit les trajets qui, par l’habitude, sont devenus des « lignes de moindre résistance ». Comme le dit un habile écrivain : « De cette façon, des suites de pensées d’une longueur quelconque peuvent être éveillées ; cela, jusqu’à ce que l’activité nerveuse originale ou bien émerge par quelque forme d’expression dans le monde extérieur, ou bien s’absorbe dans le courant plus puissant d’une forte sensation directe[1]. »

Il est donc démontré que nos pensées se suivent l’une l’autre inva-

  1. Barret, Physical Ethics, 1869, p. 315.