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j. liégeois. — hypnotisme et criminalité

ce savant donnait trop peu de détails pour qu’on pût en tirer des conclusions précises. Dans un article : Sur la personnalité et la mémoire dans le somnambulisme, publié dans la Revue philosophique, 1883, N° 3, M. Richet s’exprime ainsi :

« Chez ces deux femmes, il n’y a pas, entre l’état de sommeil magnétique et l’état normal, cette différence nette et formelle qu’on voit dans les livres classiques. Chez elles, on peut provoquer presque tous les phénomènes d’hallucination, sans qu’il y ait de clôture des paupières et alors qu’est conservée exacte et complète la notion de la personnalité (p. 211). »

J’ai parlé tout à l’heure de réserves faites par M. Beaunis ; voici en quoi elles consistaient :

« Mais il manque un trait au tableau, et c’est précisément ce trait qui constitue la caractéristique essentielle de cet état spécial : je veux parler de cette perte partielle de la mémoire, que j’ai signalée déjà, perte qui ne porte que sur la suggestion qui vient d’être faite, tandis que le souvenir est conservé pour tout le reste. Il y a là une distinction capitale et qui n’a été faite par aucun des observateurs précités. »

J’ai déjà expliqué ailleurs[1] que, si je n’avais pas suffisamment fait ressortir cette perte partielle de la mémoire — et j’avais eu, en cela, grand tort, — je n’avais cependant pas manqué de l’apercevoir et d’en être frappé. Je crois même avoir été le premier à la constater. En effet, parlant, dans mon Mémoire, de l’impossibilité suggérée à Mme D… de faire une addition de trois nombres, je notais que, quand j’avais levé l’interdiction, Mme D… me disait, d’un air triomphant « Mais je l’ai toujours pu ! » Elle montrait ainsi qu’elle avait oublié instantanément son incapacité momentanée.

Je n’avais d’abord examiné, à la fin de 1883 et au commencement de 1884, que le curieux état psychologique dans lequel se réalisent les suggestions simples, faites à l’état de veille : par exemple, que le sujet ne pourra compter jusqu’à trois pièces de monnaie, ni écrire les consonnes, ou les voyelles, etc. Les expériences que j’ai faites depuis cette époque, les études et les réflexions auxquelles je me suis livré, m’ont porté à généraliser et à étendre ce que mes conclusions antérieures pouvaient encore présenter d’insuffisant ou d’incomplet.

Je crois maintenant pouvoir proposer l’explication suivante.

Que la suggestion ait été faite pendant le somnambulisme ou en état de veille apparente (il m’a toujours paru que, chez les très bons

  1. Voy. J. Liégeois, De la suggestion et du somnambulisme, etc., p. 383.