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semble avoir pour mission de réparer le mal fait aux idées chrétiennes et morales par le grand négateur du xviiie siècle. Son action sera surtout bienfaisante en Russie, ce pays spiritualiste et idéaliste par excellence, où l’on a vu jusqu’aux excès matérialistes, anarchistes et nihilistes se signaler maintes fois par des traits d’abnégation grandiose. J’en demande bien pardon à M. Strahoff, mais son rêve de millénaire me semble absolument incapable de devenir une réalité. Nous ne parlerons pas de l’univers civilisé, ce qui nous conduirait trop loin. Mais la Russie elle-même n’est point et ne fut, à aucune époque de sa longue et terne histoire, l’Eldorado idéaliste que nous dépeignent quelques slavophiles. Le génie propre du peuple russe l’apparente bien mieux à Sancho qu’à Don Quichotte. Mais les oisifs, les inoccupés, les sans-but, c’est-à-dire, au fond, les sans-idéal prochainement réalisable, sont encore si nombreux au sein de la fameuse intelliguentzia russe ! À défaut d’autres issues vers le bien et le vrai, quelques âmes inquiètes se jettent dans le nouveau mysticisme qui est encore, quoi qu’on dise, une manière d’opposition. Et elles font bien : cela vaut toujours mieux que de jouer à la Bourse, de pressurer le paysan ou l’ouvrier et de tromper le voisin.

W. Solovieff. Un point de philosophie de l’histoire. — S’appuyant sur l’ouvrage posthume de M. L. Metchnikoff : La civilisation et les grands fleuves historiques, dont il signale les lacunes, M. Solovieff procède à une étude, souvent suggestive, de l’action exercée par les principes moraux du christianisme sur les institutions et les mœurs de l’empire latino-byzantin.

E. Tchelpanoff. Mesure des actes psychiques les plus simples. — L’auteur donne une description assez complète des méthodes et des instruments employés dans les laboratoires ou « instituts » psychophysiologiques pour la mesure de certains actes psychiques très simples.

E. de R.

P.-S. — Au moment d’envoyer à l’imprimerie, nous recevons le dernier numéro des Voprosy (n° 9). Parue le 15 novembre, cette livraison de la revue russe fut saisie par ordre de la double censure qui fonctionne encore en Russie : la censure laïque relevant du ministère de l’Intérieur, et la censure ecclésiastique ou « spirituelle », comme on dit là-bas, dirigée par le très saint Synode. Trois articles étaient visés par les gardiens salariés mais peu convaincus, je pense, des bons principes, sinon de l’intégrité même de la vieille âme russe. En premier lieu, une étude de M. Grote sur la question palpitante du moment, la famine qui désole vingt des plus riches « goubernies » de l’Est et du Sud-Est. L’article portait ce titre en apparence inoffensif : La famine dans ses rapports avec l’éthique. Le second écrit (sur le même sujet) qui offusqua la pudeur des deux Anastasies russes jusqu’à les faire jouer du ciseau comme moyen de légitime défense (car tous les articles