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sens qu’ils donnent lieu à l’alternance des saisons ; mais ce n’est pas en tant que mouvements qu’ils agissent à cet égard ; et ce qui le prouve, c’est que l’alternance des saisons se produirait tout aussi bien si la terre était immobile, et les astres en mouvement dans de certaines conditions déterminées, comme le supposaient les anciens. Le mouvement d’une bille sur le billard est totalement indépendant du mouvement de la terre. La lune se meut autour de la terre exactement comme si la terre était parfaitement immobile. Tous ces exemples qu’il serait possible, on le comprend, de multiplier à l’infini, montrent bien que c’est une erreur absolue que de considérer un mouvement quelconque, parmi tous ceux qui tombent sous nos sens, en fait ou en droit, comme faisant partie du système de mouvements qu’on imagine sous le nom de mécanisme universel.

Veut-on à cet égard une autre preuve encore ? Considérons pour un instant le mouvement d’un corps quelconque comme l’un des éléments constitutifs de l’existence universelle. Il est clair qu’une supposition de ce genre exige que nous prenions le mouvement en question dans toute sa réalité, et dans toute son intégrité. Voici dès lors ce qui va se produire. Un vaisseau, par exemple, se meut à la surface de la terre mais, pour avoir son vrai mouvement, c’est-à-dire, en définitive, son vrai déplacement dans l’espace, il faut que nous ajoutions au mouvement propre qu’il a sur la mer, le mouvement de la terre qui l’emporte autour du soleil. Mais le soleil lui-même n’est pas immobile par conséquent, le mouvement dont il est animé doit être ajouté encore au mouvement propre du vaisseau et à celui de la terre. Jusqu’où irons-nous ainsi ? Jusqu’à l’infini, sans doute, car on n’aperçoit pas de terme à cette progression. Les mêmes raisons qui nous interdisent d’attribuer des limites au temps et à l’espace nous interdisent également (quoique la démonstration soit peut-être moins claire pour ce dernier cas) de limiter la série des astres dans l’ordre de la grandeur croissante èt de la dépendance exercée par les plus grands sur les plus petits. D’où il suit que, par cela même que nous faisons du mouvement d’un vaisseau l’un des éléments constitutifs du mécanisme universel, nous attribuons implicitement à ce mouvement l’infinité actuelle ; ce qui d’abord est une contradiction dans les termes, et ce qui, de plus, entraîne pour ce mouvement une indétermination incompatible avec le caractère de réalité concrète que l’hypothèse mécaniste suppose. Le mouvement donc, il faut le redire encore, n’est qu’une relation, et l’on tombe dans l’absurde si l’on veut en faire le fond dernier de la réalité même purement phénoménale.

Que le mouvement ne soit qu’une relation, pas un homme versé.