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cienne conception, dûment développée, de Cicéron : la bienfaisance éclairée par la prudence, réglée par la justice, tempérée par la modération.

L’auteur, comme on le pressent d’après le titre de son ouvrage, prend les choses de loin. La bienfaisance se présente tout d’abord à ses yeux, comme un effet de l’accumulation et de l’organisation d’instincts, de sentiments et d’impulsions, qui se sont formés dans l’homme et dans la société à travers les espèces animales. Dans celles-ci, on remarque non seulement des signes caractéristiques de la vie affective, mais aussi les manifestations les plus évidentes de la pitié et de l’aide mutuelle poussées jusqu’au sacrifice de la vie. Cet enchaînement de faits psychiques dans la vie humaine n’est du reste qu’un des effets de la grande loi de persistance de la force, par laquelle tout ce qui existe dans la nature, à quelque ordre de faits qu’il appartienne, est toujours le résultat de complication et de différenciation.

Sont étudiées successivement, aux chapitres i-iv, la bienfaisance dans l’animalité, sa genèse psychologique, sa genèse sociale, ses formes embryogéniques. Il réfute ensuite, avec originalité, certains préjugés historiques touchant cette vertu. Pour lui, la bienfaisance est un fait naturel, ayant progressé indéfiniment de l’organisme individuel à l’organisme social. Elle est soumise à l’évolution commune à tous les autres phénomènes sociaux, et échappe à toute idée d’exclusivisme qu’on a pu se former sur elle : tout peuple, tout âge, toute religion, toute école, y a contribué selon ses moyens. Une des plus grandes erreurs historiques est celle qui fait voir dans le christianisme un fait sorti du sein d’une grande révolution morale et ayant eu pour effet de renouveler la face de la terre, de déterminer le passage de la grossièreté et de la cruauté à l’amour, à la charité, à la bienfaisance mutuelle. La religion et la civilisation chrétiennes tiennent à la religion et à la civilisation païennes, comme le conséquent tient à l’antécédent.

L’auteur étudie avec beaucoup de soin la bienfaisance dans les anciennes civilisations asiatiques, dans les civilisations grecque et romaine. Il traite de la bienfaisance privée et de la bienfaisance publique à Rome, au moyen âge dans les nations chrétiennes, chez les nations modernes. Il termine par des considérations à la fois théoriques et pratiques sur les principes d’une législation de la bienfaisance qui la mettrait en harmonie avec les exigences de notre époque.

Ce dernier problème amène une conclusion dont les idées se rattachent au communisme plutôt qu’à l’individualisme. Avec plusieurs des socialistes ou sociologistes contemporains, il estime que la cause de la misère est surtout dans la distribution défectueuse de la richesse, et que c’est l’État qui peut faire cette distribution avec la plus grande équité. Ainsi la question sociale, après tant de progrès, est ramenée par la science à la conception des peuples primitifs. Il faut porter la bienfaisance au vrai sens de la modernité, enter sur le vieux tronc de la solidarité domestique et civile des anciens les germes de mutualité, de