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(chap.  ix) répond à la question : Qu’est-ce que la réalité ? en maintenant l’identité de la connaissance et de l’être (p. 226). « L’indubitable réalité qu’il n’est possible de dépasser dans aucun sens est la connaissance même » (p. 224). — Le même idéalisme se révèle dans la Philosophie de la nature et la Philosophie de l’esprit (chap.  x), où M. Ladd déclare que toute multiplicité est soumise à la finalité, et que son unité est une idée réalisée (p. 267). De même la moralité (chap.  xi) et la beauté (chap.  xii). sont des réalisations progressives de l’Idéal. Enfin la philosophie de la religion (chap.  xiii) nous fait concevoir la suprême synthèse ; « ce principe ou, si l’on veut, ce postulat d’une perfection esthétique et morale servant de raison d’être à l’existence et au progrès du monde, illumine et élève tout le champ de la connaissance et de la vie humaine » (p. 394).

La pensée de M. Ladd se meut, on le voit, vers l’idéalisme. Mais ce n’est pas sans quelques hésitations et quelques réticences. Le dernier chapitre, où l’auteur s’occupe des écoles et de l’avenir de la philosophie (chap.  xiv) en donne la preuve. Il redoute les conséquences morales de l’idéalisme (p. 407, 416) ; il lui semble que le corps a autant de réalité que l’esprit (p. 405) ; il incline vers un monisme voisin du spinozisme. Le corps et l’esprit, dit-il, sont des réalités relatives (p. 404) ; ils ont un fonds commun ; leurs rapports supposent une seule vie immanente à l’un et à l’autre ; il n’y a que cette hypothèse qui puisse expliquer les faits que constate la psychologie, et remplacer les antiques doctrines des causes occasionnelles et de l’harmonie préétablie. Ce monisme trouvera l’unité de tout être et de toute connaissance dans une Réalité idéale, un Idéal réalisé (p. 419). — II y a là forcément quelque obscurité qui pourrait bien, malgré l’auteur, ramener l’agnosticisme et l’empirisme. Lui-même ne serait pas éloigné de s’en tenir provisoirement a un dualisme (p. 406) spiritualiste. De là aussi une certaine incertitude, dans ses premiers chapitres, sur le rôle et la définition même de la philosophie. La philosophie, nous dit-il, doit être un système rationnel des principes supposés par les autres sciences ; la philosophie doit expliquer l’univers (p. 57) elle doit être, par suite, une construction synthétique, sans quoi nous ne voyons pas comment elle pourrait être une explication. M. Ladd semble admettre cette conséquence (p. 105, 111, 120, 121, etc.), et c’est dans ce sens que nous avons interprété son livre. Mais nous y trouvons des passages qui paraissent contredire cette interprétation. L’auteur cite et accepte l’opinion de Lotze, que le but de la philosophie n’est pas de construire le monde, mais de l’expliquer (p. 128) ; il parle de pensée analytique et synthétique construisant, avec les matériaux de la science, un système rationnel (p. 130) ; il semble croire que l’explication philosophique est du même ordre que l’explication scientifique, et ne fait que la continuer ; il y aurait entre la philosophie et les sciences le même rapport qu’entre celles-ci et les faits (p. 128). Tout cela révèle, encore une fois, quelque ambiguïté de la pensée ; il faut l’attribuer soit à l’attitude de l’auteur sur la