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tives à des dégénérés qui éprouvent une excitation génitale intense pendant la contemplation de certains objets inanimés qui laissent complètement indifférent un individu normal. Ces perversions sont assez répandues, car on en trouve la mention et parfois même l’analyse assez bien faite dans quelques romans contemporains.

L’objet de l’obsession est particulier et toujours le même pour chaque sujet. Nous en donnerons ces quelques exemples, qui paraissent bizarres à première vue : un bonnet de nuit — les clous de souliers de femmes — les tabliers blancs.

Le terme de fétichisme convient assez bien, ce nous semble, à ce genre de perversion sexuelle. L’adoration de ces malades pour des objets inertes comme des bonnets de nuit ou des clous de bottines ressemble de tous points à l’adoration du sauvage ou du nègre pour des arêtes de poissons ou pour des cailloux brillants, sauf cette différence fondamentale que, dans le culte de nos malades, l’adoration religieuse est remplacée par un appétit sexuel.

On pourrait croire que les observations précédentes, que nous avons résumées d’un mot, et sur lesquelles nous aurons à revenir, sont des monstruosités psychologiques ; il n’en est rien ; ces faits existent en germe dans la vie normale ; pour les y trouver, il suffit de les chercher ; après une étude attentive, on est même étonné de la place qu’ils y occupent.

Seulement, dans ces cas nouveaux, l’attrait sexuel prend pour point de mire non un objet inanimé, mais un corps animé ; le plus souvent, c’est une fraction d’une personne vivante, comme un œil de femme, une boucle de cheveux, un parfum, une bouche aux lèvres rouges ; peu importe l’objet de la perversion ; le fait capital, c’est la perversion elle-même, c’est le penchant que les sujets éprouvent pour des objets qui sont incapables de satisfaire normalement leurs besoins génitaux. Aussi tous ces faits appartiennent-ils à un même groupe naturel ; ils offrent en commun ce caractère bien curieux de consister dans un appétit sexuel qui présente une insertion vicieuse, c’est-à-dire qui s’applique à des objets auxquels normalement il ne s’applique pas.

Il convient d’ailleurs d’ajouter que tout le monde est plus ou moins fétichiste en amour ; il y a une dose constante de fétichisme dans l’amour le plus régulier. En d’autres termes, il existe un grand et un petit fétichisme, à l’instar de la grande et de la petite hystérie, et c’est même là ce qui donne à notre sujet un intérêt exceptionnel.

Si le grand fétichisme se trahit au dehors par des signes tellement nets que l’on ne peut pas manquer de le reconnaître, il n’en est pas de même du petit fétichisme ; celui-là se dissimule facilement ; il n’a