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SUR LA MORT DE GIORDANO BRUNO[1]



Au moment où l’Italie se prépare à dresser, par souscription internationale, une statue expiatoire[2] à Giordano Bruno et aux martyrs de l’Inquisition, voici paraître une petite brochure où le supplice de Bruno est mis en doute, puis nié. M. Desdouits[3], passant des régions métaphysiques à celles de la critique, veut démontrer que rien ne prouve cette exécution de Bruno : Michelet, Henri Martin, Quinet, Reclus, Renan, gens, comme on sait, peu experts en critique, avaient accepté la tradition sans parler de Cousin et même de M. Saisset, peu suspect de prosélytisme panthéistique. Dans un long et savant ouvrage sur Bruno, Christian Bartholmess[4] avait discuté la créance qu’on devait accorder à la preuve : il avait conclu, lui catholique, à l’authenticité. M. Desdouits est plus sévère. Professeur de philosophie, il invoque peut-être devant ses auditeurs le fameux argument du consentement universel : critique, il a plus de rigueur en quoi d’ailleurs il a raison. Mais voyons s’il peut nous convaincre, et si l’Italie veut élever un monument à la mémoire d’un fait légendaire et d’un martyr qui n’a point subi le supplice.

M. Desdouits semble surtout avoir puisé dans Brucker[5]. S’il a lu la longue note de Bartholmess, si nourrie de faits et de preuves, c’est au moins bien légèrement. Avant d’entrer dans le détail de la discussion, je m’excuse de l’incohérence apparente et du désordre qu’elle offrira : je suis pas à pas le critique, plus véhément que méthodique.

Écartons d’abord l’autorité de Bayle. M. Desdouits la déclare incontestable ; plus loin pourtant, il l’avoue, ce même Bayle « qui savait tant

  1. La légende tragique de Jordano Bruno, comment elle a été formée, son origine suspecte, son invraisemblance, par Théophile Desdouits, professeur de philosophie au lycée de Versailles. Paris. Thorin, br. in-8o. 23-3 pages.
  2. La Revue a reçu le prospectus, il porte : « à Giord. Bruno, réveilleur des esprits endormis. Dormitantium animorum excubitor. »
  3. Une remarque d’orthographe : M. D. écrit Jordano ; c’est l’orthographe du nom latinisé, Jordanus. L’italien écrit Giordano. Pourquoi changer ? Le nom de baptême de Bruno est Filippo. Giordano fut son nom de moine.
  4. Giord. Bruno (ou plutôt Jordano, car l’auteur lui aussi écrit ainsi), 2 vol. Ladrange, 1845, in-8o.
  5. 1702, art. Brunus.