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CH. SECRÉTAN. — la femme et le droit

juge ; il acquiert, elle épargne (et ce trait, s’il est juste, permet d’entrevoir jusqu’où va le désordre dans les existences privées et quel doit en être le contre-coup dans la vie publique). Vouée à l’enfant, la femme vit de l’enfant, elle est toujours jeune, car la vieille femme est un produit de la barbarie[1], aussi l’amour de l’adolescent pour la femme mûre, si naturel et par là même si dangereux dans le cadre de nos mœurs, participe-t-il plus que tout autre de l’amitié, attendu qu’il unit des semblables. Mais il ne saurait suffire à la femme, qui a besoin d’admirer et de servir. La femme, qui est la généralité, s’individualise dans son amour, tandis que par le sien, lorsqu’il est digne de l’éprouver, un cœur viril s’ouvrant à toute bienveillance se replonge dans la source de l’humanité. En un mot (les naturalistes me diront bien si je m’abuse), il me semble que la femme soit la tige et nous les rameaux ; elle possède virtuellement toutes les richesses de l’humanité dont chacun de nous doit mettre en œuvre quelque partie. Certaines femmes possèdent un talent spécial, nous le voulons bien ; mais dans la femme de talent, un homme est caché ; de même il y a quelques hommes universels ; mais ils ne sont pas universels s’ils n’ont dans leur cœur un cœur de femme. La femme est essentiellement conservatrice, modératrice et bienveillante. Elle ne possède pas cette logique qui nous fait aller si loin en tirant d’une prémisse acceptée toutes ses conséquences, bonnes ou mauvaises ; elle a le bon sens, qui regarde autour de lui et qui attend d’y voir pour se mettre en route. Elle inspire et ne produit pas. Sous le point de vue de l’invention, son infériorité naturelle me paraît incontestable. La mauvaise éducation n’explique pas tout, car sans cette infériorité naturelle et sans l’instinct de soumission qui l’accompagne, nos sœurs auraient pu se procurer une éducation meilleure. Le proverbe « ce que femme veut » a son côté vrai, comme tous les proverbes, mais ce qui est également vrai, sauf des exceptions nombreuses, c’est que la femme ne veut pas beaucoup. Sa puissance créatrice est faible ; comment expliquer autrement, par exemple, que les dames, avec toute leur musique, ne comptent pas dans leurs rangs un compositeur du troisième ordre, et comment se fait-il qu’un nouvel Amphion[2] voulant caractériser le mode féminin dans la poésie ait dû se rabattre sur Alfred de Musset ? L’éducation n’est pas seule responsable de ces choses-là.

L’homme sera donc toujours le plus fort, et s’il ne conserve pas à jamais son empire exclusif, c’est qu’il en a trop abusé, c’est qu’il

  1. Voyez Vers d’un philosophe, p. 85.
  2. Voyez Revue nouvelle, du 15 octobre 1384, p. 711.