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par sa facilité beaucoup plus grande à retenir le simple ton qu’à retenir la série des lettres qui composent les mots.

Il est vraisemblable que le chant à l’origine n’a été qu’un langage dont le rythme et la modulation étaient développés par les sentiments.

Le langage et l’esprit se développent simultanément. Les sentiments qui s’expriment chez l’animal par des cris et des gestes s’expriment tous chez l’homme d’une manière beaucoup plus variée et plus précise par le langage : l’enfant et le sauvage parlent presque toujours. Certains sentiments ne trouvent pas une expression suffisante dans le langage ordinaire la colère amène une modification dans la modulation. L’élément rythmique du langage est modifié par d’autres sentiments : une expédition guerrière, par exemple, produit une tension d’énergie qui se traduit par la marche cadencée, et la danse donne à toute manifestation de l’activité et au langage lui-même, un caractère rythmique. Un sentiment général de bien-être produit aussi un changement de modulation et conduit au chant. Les sentiments sexuels, s’il il ne s’agit pas des hommes primitifs qui ne recourent qu’au rapt, peuvent également conduire au chant ; les inclinations mystiques et religieuses donnent à la voix dans les prières, les exorcismes, etc., une expression qui se rapproche beaucoup du chant.

Le chant primitif ainsi formé différait du chant actuel autant que la hutte du sauvage diffère de l’œuvre de nos architectes. La musique n’était pas encore alors un art. Le rythme, l’élément caractéristique donné peut-être par les battements du pouls et du cœur, produit la mélodie.

La musique instrumentale tire son origine des mêmes sentiments on frappe en cadence les mains l’une contre l’autre, les pieds contre la terre pour accompagner le chant. Le développement de la musique instrumentale se fait comme celui de la musique vocale : le bruit simple, puis le bruit rythmé et les instruments à vent n’ayant qu’un son ou n’en ayant que quelques-uns ; ensuite les instruments qui produisent une mélodie en alternant les sons. Les instruments de percussion, tambours, cymbales, etc., apparaissent les premiers et se retrouvent chez tous les peuples.

En se développant, la musique s’éloigne de son caractère primitif en même temps qu’elle se rapproche de son idéal comme art elle imite les sons qui, sous l’influence de certains sentiments, s’échappent de la poitrine. Les femmes (Siam, Hongrie, Médie, Australie, Madagascar, etc.), s’occupent beaucoup plus activement de musique, et elles y sont beaucoup plus sensibles. Le refrain prend naissance : les auditeurs répètent involontairement et tant bien que mal le chant qui correspond à leur caractère ; puis ils s’exercent à le répéter avec les mêmes intonations que le chanteur : l’art se joint à la nature. S’il y a dans un chant beaucoup de passages qui plaisent aux auditeurs, ce chant s’imprime plus profondément en eux ; ils le répètent, le chantent à d’autres qui le répètent à leur tour. Ce chant devient ainsi un chant national (Volks-