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tant à ce point que la femme ne possède pas, virtuellement du moins, une individualité morale et par conséquent une personnalité juridique. Dès lors, la condition légale du sexe féminin ne saurait être justement fixée sans son assentiment formel et sans son concours ; jusque-là, nous pataugerons dans l’arbitraire. Hors de là, c’est-à-dire hors de la justice, le règlement de ses affaires se fera toujours à son détriment. Les législateurs de tous les siècles ont compris que charité bien ordonnée commence par soi-même. Les filles n’ont que leur père au Conseil pour veiller sur leurs intérêts ; si la préférence du père est pour ses garçons, le cas des filles paraît sans remède. La minorité politique n’est que servitude, ici déguisée, affichée ailleurs.

Cependant si l’homme, arrivant à l’intelligence de son véritable avantage, voulait faire droit à sa compagne, quel devrait être le cachet de cette législation provisoire ? — Nous répétons qu’une loi faite par un sexe dans l’intention de rendre justice à l’autre ne devrait pas se fonder sur la différence qui les unit et qui les sépare il ne saurait être tenu compte avec équité de cette différence ailleurs que dans une délibération commune, instituée par la base de l’égalité :

1o Parce que l’idée même du droit se fonde aujourd’hui sur l’égalité, sur la parité des personnes ;

2o Parce que les différences ne sauraient être justement estimées par l’homme seul ;

3o Parce que l’observateur le plus clairvoyant et le plus impartial ne pourrait apprécier aujourd’hui ni l’étendue ni la nature exacte de ces différences dissimulées, exagérées, déformées par une éducation dont le principe consiste en ceci, que l’existence de la femme a pour but exclusif le service d’un maître déformé lui-même et dégradé par l’exercice d’un pouvoir illégitime.

Notre opinion personnelle sur le sexe des âmes est donc sans autorité, comme toute autre opinion personnelle. Nous dirons pourtant en trois mots ce qu’il nous en semble : c’est à peu près ce que chacun croit en savoir.

En moyenne, l’intelligence et le caractère de la femme nous semblent déterminés par son rôle dans la perpétuation de l’espèce, fonction qui, occupe nécessairement dans sa vie normale une place bien plus considérable que dans la nôtre. Dans l’humanité, la femme représenterait donc et produirait la continuité ; nous, le changement et le rythme ; la femme est l’espèce, le mâle est l’individu ; la femme est la synthèse et l’intuition, l’homme l’analyse et le raisonnement, elle est la tradition, lui l’invention, la critique, le progrès ; elle verra plus juste et lui plus loin ; elle aura le goût et lui le génie. Suivant l’ordre naturel des choses, il agit, elle supporte ; il propose, elle