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plutôt si les buts particuliers ne sont eux-mêmes que des moyens pour le but général, si l’individu peut concevoir un état supérieur à sa condition donnée, si nous considérons l’intérêt du sexe masculin dans l’avenir aussi bien que dans le présent, alors la question change de face, l’antagonisme des sexes ne peut plus être maintenu que d’une manière artificielle, il s’agit d’examiner les effets de la loi des femmes sur le développement physique, intellectuel et moral de l’humanité tout entière pour déterminer ses effets sur la condition du sexe masculin.

Eh bien, tout d’abord, songeant aux générations à venir, on se dira que des enfants sains et robustes ne sortent pas de reins épuisés ; on se demandera si la facilité de jouir qui s’offre à nous dès l’adolescence et que nos lois ménagent avec tant de soin, n’est pas nuisible à ceux qui en disposent, si nous n’allons pas au delà du but, et si, dans notre propre intérêt, il ne conviendrait pas de faire à la femme une place tenable entre le service d’un seul et le service de tous.

Dans le même ordre d’idées, il nous semble que les enfants, même les garçons — nous dirions volontiers surtout les garçons — tiennent de leur mère, non seulement pour la constitution physique et pour les traits, mais pour l’intelligence et le caractère ; il nous semble aussi qu’à leurs mères incombe à peu près inévitablement le soin de leurs premières années, et que l’éducation commence au berceau. Dès lors, nous ne pouvons nous empêcher de croire que des mères plus instruites et plus raisonnables élèveraient mieux des fils mieux doués, que leurs vices ordinaires, la dissimulation et la frivolité, sont, en partie au moins, les effets de leur servitude et du mal qu’on s’est donné pour les y dresser ; l’égoïsme de Chrysale nous semble d’un esprit bien court ; tout ce qu’on essaie et qu’on tentera pour élever, pour élargir l’esprit et le cœur des femmes nous paraît devoir profiter à leurs enfants, c’est-à-dire aux hommes, et, loin de regretter les grâces qu’elles perdraient à des exercices plus sérieux que le piano-forte, à des visées plus hautes que la dentelle et le velours, nous croyons sincèrement qu’à ne les point façonner pour notre usage exclusif, elle nous rendraient un meilleur service, et qu’à ne point se considérer comme instruments de nos plaisirs, elles ne seraient que plus agréables. Peut-être accordera-t-on qu’une fille pure est au-dessus d’une courtisane ; mais a-t-on réfléchi qu’en habituant la jeune fille à voir dans notre sexe l’objet et la raison de son existence, on dépose et l’on cultive en elle le germe de la courtisane ? Loin de regretter la concurrence de la femme dans toutes les carrières et de condamner l’éducation qui l’y prépare, nous verrions dans ce relèvement de sa condition la promesse d’un relèvement pour nous-