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tomba aux mains de Wolf, qui systématisa, il est vrai, sa doctrine, mais acheva de la glacer et le plus souvent la défigura. C’est sous la forme d’un rationalisme vulgaire, où il était presque impossible de découvrir le véritable esprit de la philosophie leibnizienne, qu’elle se répandit en Allemagne, et cependant elle suffit à toute une période du développement germanique. Mais il y avait dans l’œuvre du maître trahi par ce disciple, trop de vérités éparses, trop de vues profondes, et, suivant une expression qu’on peut bien lui emprunter et lui appliquer, trop de fulgurations, pour rester indéfiniment enfouies et comme éteintes sous la compilation d’un pédant. Il fallait à ces clartés ajouter la chaleur qui leur manquait. Ce fut l’œuvre d’abord de deux hommes qui n’avaient aucune attache académique : Lessing et Herder. Mais ce fut Schelling surtout qui devait, malgré les différences qui le distinguent de Leibniz, se rattacher à lui et apporter l’élément poétique, émotionnel, qui lui avait fait défaut. Encore aujourd’hui la véritable tâche qui s’impose à la philosophie, suivant M. Merz, est bien celle que le grand penseur du xviie siècle lui avait assignée. Cette tâche est double. Elle est, d’abord, d’établir les notions fondamentales ou métaphysiques. En ce sens, elle a été clairement définie par Herbart et entreprise par Lotze dans un des livres les plus suggestifs que nous connaissions[1]. C’est la tâche formelle de la philosophie. Mais il y a pour elle un autre but à atteindre. « Le champ de l’observation extérieure et de la vérité scientifique fondée sur les relations mécaniques des choses s’est tellement accru depuis Leibniz, qu’il est superflu d’encourager les recherches exactes. Mais les signes extérieurs et l’évidence de ce pouvoir spirituel qui vit dans l’esprit humain, et qui avait fait dire à Leibniz que cet esprit est un microcosme dans le macrocosme, se sont accrus encore davantage. Sans doute, nous regardons aujourd’hui comme impossible d’atteindre par la pensée pure à une expression adéquate de cette unité spirituelle dont les phénomènes moraux, poétiques et religieux sont la manifestation ; mais il y a, dans l’histoire du genre humain et dans la vie de chaque individu, des événements sans nombre, dans lesquels se montre l’activité de cet esprit. Le philosophe doit les considérer en tant que faits, non pour les juger d’après quelque règle préconçue ou les expliquer au profit d’une théorie mécanique des choses, mais avec le désir de découvrir le caractère particulier et l’essence de cette vie intérieure qu’ils révèlent. C’est le but que Lotze s’est proposé en écrivant son grand ouvrage, le Microcosme, et, dans cet ouvrage, il rend pleinement justice à l’esquisse que Herder avait déjà tracée dans son livre célèbre des Idées sur une histoire du genre humain. »

Ainsi se termine le livre de M. Merz, en montrant dans l’œuvre du plus estimé des philosophes allemands contemporains une suite de l’œuvre de Leibniz. Mais cette suite n’a été reprise qu’après cette

  1. La Métaphysique, dont il est regrettable que la Revue n’ait pas encore parlé.