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La division du travail a fait des merveilles ; la lutte engagée contre la prostitution officielle éveille à bon droit la sympathie des honnêtes gens ; mais, dans ce domaine, une réforme vraiment incisive et féconde nous paraît à peu près impossible en dehors d’une réforme plus générale, qui élève la personnalité juridique de la femme au-dessus des contradictions dont elle est affectée. C’est à la lumière du droit matrimonial qu’il faut inspecter les verroux et les cadenas de la maison privilégiée, On ne comprendra pas les arrangements illégaux qui forcent notre sœur esclave à s’y livrer sans choix, sans précaution et sans limite, avant de les avoir rapprochés des dispositifs légaux combinés pour assurer l’impunité du séducteur, même dans les cas où les agents dont il s’est servi seraient condamnés pour fraude ou pour violence. Lorsqu’on a saisi la conséquence parfaite de cet ensemble législatif, et remarqué le contraste entre son style et celui des lois qui régissent toute autre matière ; lorsqu’on voit la déclaration de paternité refusée dans les cas même où elle a été reconnue en fait et ne saurait offrir aucun doute : bref, les conséquences d’un acte commis à deux systématiquement rejetées sur le plus faible des agents, la sollicitation, la séduction, le mensonge, la contrainte morale toujours indemnes, la confiance et le consentement toujours punis, on comprend que si la fille riche trouve dans sa famille une protection chèrement payée, la fille pauvre est tout simplement une source de jouissances, un gibier de chasse agréable, dont on prend soin d’assurer la conservation ; et l’on mesure enfin la justice qu’il est permis d’attendre d’une classe dictant la loi d’une autre classe, d’un sexe rédigeant la loi d’un autre sexe et des deux inégalités combinées.

III

Aujourd’hui, la première de ces inégalités n’a plus de base. L’homme du peuple a le moyen, s’il le veut, d’obtenir de son mandataire quelque protection pour ses enfants, et généralement d’améliorer les conditions de leur existence. C’est l’intérêt des pères qui pousse à relever l’instruction des filles et qui leur ouvre la porte des emplois. Un certain nombre d’entre elles ne sauraient manquer de gravir quelques degrés dans la hiérarchie, et lorsque le public aura pris l’habitude de voir des femmes assumer des responsabilités et donner des ordres dans des offices publics comme elles font déjà dans nombre d’ateliers et d’institutions particulières, la question de leurs droits politiques se posera tout naturellement à l’esprit ; elle apparaîtra