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E. NAVILLE. — la doctrine de l’évolution

M. Herbert Spencer est le représentant le plus important et le plus connu de la doctrine de l’évolution élevée à la hauteur d’un système. Son point de départ, assez différent de son point d’arrivée, est le positivisme. En parlant des recherches relatives à la détermination du principe de l’univers, il écrit : « Nous cherchons continuellement à connaître, nous sommes continuellement repoussés, et nous rapportons de nos échecs une conviction plus profonde de l’impossibilité de connaître. C’est pour cela que nous comprenons clairement que le plus haut degré de sagesse et notre plus impérieux devoir consistent à considérer ce par quoi toutes les choses existent comme l’inconnaissable[1]. » La science doit donc se borner à l’étude des lois qui régissent les phénomènes constatés par l’expérience, ou à ce qu’Auguste Comte appelait « la simple coordination des faits ». À l’étude de ces lois, M. Spencer a consacré un immense labeur dont le résultat est consigné dans des productions volumineuses qui ont donné une grande notoriété à son nom et une grande influence à sa pensée. Il n’importe pas à mon objet d’indiquer la manière dont cet auteur considère l’évolution du monde, d’exposer les lois auxquelles il ramène l’expression des phénomènes de tous les ordres. Il me suffit de constater que les besoins de la pensée spéculative se trahissent dans l’exposition d’une doctrine qui, au premier abord, semble les proscrire. La qualification d’inconnaissable est appliquée à « ce par quoi toutes les choses existent ». L’emploi du singulier dans les mots ce par quoi est digne d’attention. Dire qu’au delà des phénomènes il y a l’inconnaissable et non pas les inconnaissables, c’est rendre témoignage au besoin d’unité qui est le caractère propre de la raison et qui conduit à l’affirmation de l’unicité du principe de l’univers. Poursuivons : l’inconnaissable de la page 121 est aux pages 48 et 120 « la puissance dont l’univers est la manifestation, la puissance qui se révèle dans tous les êtres ». De l’une de ces formules à l’autre, la différence est considérable. Si le principe qui se manifeste dans l’univers est une puissance (et il est, sinon tout à fait impossible, du moins très difficile de penser autrement) l’inconnaissable nous est donc connu sous un certain rapport. Il est connu comme puissance, ce qui est une idée fort distincte et la plus haute notion que nous puissions nous former de l’être. Il y a plus : dans un résumé de sa doctrine rédigé par lui-même, M. Spencer écrit : « Ce qui persiste sans changer de quantité, mais en changeant toujours de forme sous les apparences sensibles que nous présente l’univers, dépasse la connaissance et la conception humaine, est un

  1. Les premiers principes, p. 121 de la traduction française.