Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/568

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
564
revue philosophique

science contemporaine. La géologie nous reporte à des époques où le globe terrestre était impropre aux conditions de la vie. L’astronomie nous conduit à la considération d’un temps où les éléments du système solaire étaient disséminés dans l’espace. La paléontologie démontre, avec toute la certitude que peuvent avoir les sciences, que notre globe, dans la succession des âges, a porté des faunes et des flores différentes de la faune et de la flore actuelles. L’histoire nous révèle dans le passé des institutions et des mœurs qui s’éloignent beaucoup de l’état présent de l’humanité. La pensée humaine est loin d’avoir eu toujours le même contenu. Nous tenons pour vraies bien des choses qui paraissaient inconcevables à nos ancêtres ; et nos ancêtres admettaient sans peine bien des choses qui semblent impossibles à la généralité des hommes d’aujourd’hui. La morale présente, soit dans le cours des temps, soit dans les régions diverses du globe, des différences étranges ; et nos idées sur le bien et le mal, si on les envisage dans leur ensemble, apparaissent comme le résultat d’un long développement. En opposition à l’idée de la fixité du monde, la première thèse de la doctrine de l’évolution est le résultat incontestable du développement des sciences contemporaines ; l’univers a varié.

Passons à l’idée du progrès. Si le progrès entendu dans le sens favorable du terme est une loi absolue, tout changement doit être une amélioration. L’étude des faits justifie-t-elle cette thèse ?

Dans le monde physique, l’idée du progrès ne soulève aucune objection sérieuse. Il y a eu une organisation croissante de la matière, on ne saurait le contester, même sans aller jusqu’à l’hypothèse de la nébuleuse primitive, si l’on admet les données les plus solides de la géologie et de l’astronomie. Il faut remarquer cependant que la science qui constate l’organisation croissante du monde nous fait entrevoir aussi, dans les lois qui régissent les phénomènes, les causes de la dissolution future de l’organisme astronomique. Cette pensée, émise déjà par Laplace, au moment même où il établissait contre Newton la stabilité relative du système du monde, a été développée à propos de la théorie de la chaleur par plusieurs savants contemporains. Les destinées de l’univers physique ne pourraient donc pas être représentées par une ligne ascendante, mais par un cercle, conception qui ramène la pensée aux théories d’Héraclite et des Stoïciens.

La biologie contemporaine affirme que, soit qu’on étudie l’échelle des êtres actuellement vivants, soit qu’on interroge la paléontologie, on peut constater un accroissement de la complexité et de l’individualité des organismes, ce qui constitue manifestement un progrès.