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CH. SECRÉTAN. — la femme et le droit

faiblesse ; son cas est analogue à celui de l’homicide par imprudence. La recherche en paternité, que les jurisconsultes et les législateurs repoussent en principe et sommairement pour des motifs inavouables se heurte à des difficultés de preuve et de procédure qui en restreindraient beaucoup trop l’application, à peine de ressusciter les abus sous le poids desquels elle a succombé. En accordant une existence légale aux unions à terme, on préviendrait cet inconvénient, sans nuire peut-être sensiblement à la conclusion des seuls mariages pour la vie dignes d’être encouragés, ceux qui seraient formés dans la sincère intention des deux parties d’en observer toute la loi. Les unions temporaires constitueraient un lien sérieux, car quelle qu’en fût la durée, la considération due aux enfants exigerait que le terme en fût prolongé de plein droit jusqu’à ce que l’éducation du dernier-né fût achevée. On assurerait efficacement la conclusion et la publicité des conventions de ce genre, sur lesquelles nous voudrions encore réserver notre jugement, en prononçant que, sauf la preuve du contraire, les époux de fait seront considérés comme ayant eu l’intention de s’unir dans les conditions normales du mariage.

Mais ces conditions normales, quelles sont-elles ? Ici mieux peut-être que partout ailleurs, on voit combien il est difficile de séparer pratiquement l’idée juridique de l’intérêt social et de la morale, et comment toutes les institutions humaines sont fatalement des compromis. Au point de vue moral, le vrai mariage, le bon mariage est évidemment le mariage indissoluble : celui qui aime véritablement se persuade qu’il aimera toujours, il veut aimer toujours, il s’offre pour toujours et c’est à ce titre qu’il est accepté. Toute autre proposition aurait été une insulte. Tenir parole à son époux, c’est donc se tenir parole à soi-même. Et si l’amour a fait naître l’amour, si les serments échangés ont été sincères, l’un ne saurait se dégager sans déchirer l’autre. Il n’en a pas le droit, il s’est donné, il ne s’appartient plus, il ne peut pas se reprendre. Le mariage à fin perpétuelle est la seule forme où se puisse espérer cette pénétration réciproque par laquelle deux êtres incomplets se complétant et se corrigeant l’un l’autre arrivent enfin, tardivement, peut-être au soir de la vie, à se connaître eux-mêmes, parce qu’ils se sont réalisés. Nul n’y parvient seul. Nous nous connaissons nous-mêmes quand nous savons ce que nous sommes aux yeux du compagnon de nos loisirs et de nos travaux, de nos douleurs et de nos joies.

Et cette conscience réciproque, cette conscience harmonieuse, c’est le bonheur, le vrai bonheur, le seul bonheur. L’homme de plaisir ne soupçonne pas l’existence du bonheur ; pour lui ce mot n’a pas