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CH. SECRÉTAN. — la femme et le droit

cera le sexe masculin dans ses plaisirs, de sorte que l’obstacle à l’avènement du droit se borne à la résistance active de quelques privilégiés appuyée par les préjugés et par la routine. Ce libre accès aux professions est bien distinct de l’accès aux charges qui confèrent une autorité sur le public, quoiqu’il implique la faculté éventuelle de commander à quelques-uns dans l’intérieur des ateliers ou des bureaux. Quant aux offices publics, aux magistratures, la question rentre dans celle des droits politiques, où des éléments différents sont en jeu : nous en avons déjà parlé, nous pouvons passer.

La faculté d’exercer toutes les professions n’assurerait pas entièrement l’existence matérielle du sexe faible ; cependant elle dégagerait plus ou moins les industries féminines où le travail est déprécié par l’excès de l’offre sur la demande, et diminuerait ainsi dans une proportion plus considérable qu’il ne le semblerait à première vue le nombre des filles réduites à l’abandon de leur corps pour subvenir à leur entretien.

Ainsi la question du travail accessible à la femme isolée se rattache naturellement à celle des rapports sexuels et de la famille, problème complexe et difficile entre tous, même pour celui qui poursuit uniquement un idéal de justice réalisable dans les conditions permanentes de l’existence ici-bas, sans égard aux obstacles que les intérêts, les passions et les préjugés pourraient apporter lorsqu’il s’agirait de le faire passer dans les lois et dans la pratique. Peut-être cependant la question se réduirait-elle à des termes assez simples, à n’envisager que le droit pur ; mais le point délicat est précisément de savoir si le mariage et la famille relèvent exclusivement du droit pur. Il s’agirait ici d’atteindre à la vérité des choses, tandis que le droit pur ne s’établit guère sans quelque fiction. Le droit s’applique aux rapports des individus, son point de départ est l’individu, qu’il envisage comme un tout libre, et susceptible à ce titre de se lier par des conventions avec d’autres êtres libres et complets comme lui-même. Il considère les individus comme pareils et comme isolés ; c’est une abstraction féconde, salutaire, indispensable, mais enfin c’en est une, et cette imperfection devient un danger lorsqu’il s’agit de régler les rapports naturels de la famille. L’individu ne constitue pas un être entièrement séparé des autres ; il est le prolongement, la fusion, la combinaison de ses ancêtres, de quelques-uns tout au moins de ses ancêtres ; la psychologie le manifeste et la physiologie le démontre. L’être réel s’affirme et se continue dans la succession les générations. L’individu ne forme pas un tout vrai, car aucun individu ne renferme tous les éléments constitutifs de l’espèce. Le représentant complet de l’humanité, la molécule humaine, ce n’est pas l’individu, c’est le couple, et ce