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CH. SECRÉTAN. — la femme et le droit

nous examinerions le fait de près, plus nous le verrions confirmer le résultat de la déduction rationnelle : il n’y a pas de justice pour celui qui reçoit sa loi toute faite des mains d’un autre. Aussi longtemps que la nature humaine n’aura pas été transformée jusque dans ses dernières profondeurs, les lois faites exclusivement par un sexe auront son intérêt exclusif pour objet.

Qu’il en soit ainsi dans la société moderne, l’organisation de l’industrie, la discipline des rapports sexuels, la constitution de la famille en offrent partout la preuve et sort au delà du besoin. La critique de ces arrangements au point de vue de la justice n’est pas nécessaire pour des lecteurs qui les connaissent et qui sont exercés à rapprocher les éléments épars d’un problème. Si nous pouvions esquisser d’un trait correct le sort que ferait à la femme une réalisation sincère du droit dans les conditions du possible, notre but serait atteint sans un rapprochement que chacun pourrait faire pour soi-même.

II

Nous aurions voulu crayonner ce dessin, mais un obstacle nous arrête. Nous ne savons pas ce que demande la justice, et nous ne le saurons pas, aussi longtemps que la femme n’aura pas été consultée. Les nécessités, les aptitudes des deux sexes ne sont pas les mêmes. Jusqu’où vont ces différences ? Nous l’ignorons, et nous ne pourrons pas l’apprendre tant que l’éducation des filles sera réglée exclusivement par nos ordres et suivant nos convenances. Jusqu’à quel point ces différences naturelles, que nous mesurons si mal, doivent-elles se réfléchir dans la loi, pour former deux classes de personnalités juridiques avec des droits et des devoirs distincts ; nous ne pouvons pas bien le dire ; ce que nous savons seulement, c’est que les femmes sont intéressées autant que nous, et plus directement encore que nous, à la solution du problème. Si leur intervention est indispensable pour légitimer cette solution, leur expérience, leur intelligence ne sont pas moins indispensables pour l’élucider. Mais aussi longtemps que justice n’aura pas été rendue à la femme, il n’y aura de justice nulle part ; aussi longtemps dès lors que la femme ne sera pas appelée au conseil, aussi longtemps qu’elle n’exercera pas sa part d’autorité, sa part entière, sa part égale dans la délibération, nous ne pourrons pas déterminer la condition de la justice sociale, et nos anticipations sur cet objet ne posséderont qu’une valeur problématique.