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CH. SECRÉTAN. — la femme et le droit

nous ne saurions expliquer la justice et le bonheur en termes de mécanique ; nous savons seulement que la justice est impossible dans un ordre fondé sur l’esclavage, et qu’un jour de paix ne luira pas sur l’humanité, tant que l’élément pacifique sera systématiquement éloigné de ses conseils.

Tous n’accorderont pas que cet éloignement soit identique à la servitude. Négligeant ce qui concerne la capacité des citoyens effectifs, questions qui appartiennent entièrement au domaine du relatif et du variable, on dira que la femme n’est pas appelée par la nature à l’exercice du commandement, de sorte que la nature elle-même fait obstacle à son droit abstrait ; mais que sa position est fixée et ses droits mesurés dans son propre intérêt par le compagnon de son existence. On dira que si la femme est esclave en barbarie, son sort en civilisation ne peut être défini que par le terme de minorité,

Grande en effet est la différence entre ces deux idées. L’esclave n’existe pas pour lui-même ; son maître en dispose dans son intérêt à lui, propriétaire, le mineur en revanche est son propre but, comme il est le but des soins du tuteur, c’est pour le bien du pupille qu’on exige de lui l’obéissance. Mais la distinction est-elle applicable ici ? La minorité me semble une condition essentiellement temporaire. Toute minorité perpétuelle devient suspecte, surtout lorsqu’il s’agit d’une classe et d’une institution. Qu’un père ou qu’un époux se dévouent quelquefois au bonheur de l’être placé sous leur autorité, je le veux bien ; mais que l’assujettissement légal de la femme ait pour objet positif et premier le bien de la femme elle-même, j’ai peine à le concevoir, quoique j’admette que le législateur lui-même a pu le croire. Contesteriez-vous la sincérité des révérends de Richmond, lorsqu’ils expliquaient comment l’institution domestique assurait aux noirs le maximum de bonheur dont ils sont capables, ou soupçonneriez-vous d’aventure que les Anglais restent en Inde par d’autres motifs que celui d’accomplir leur mission tutélaire envers les Hindous ? Vous n’y songez point, car ce serait accuser d’hypocrisie la solennité des déclarations qu’ils ont fait clicher. Hypocrisie, oh ! jamais. Mais on peut se faire illusion à soi-même, et d’ailleurs, dans le sujet qui nous occupe, nous ne rencontrons pas toujours des déclarations aussi péremptoires. « Tout pour le peuple, rien par le peuple », disait-on souvent dans certains cercles, il y a soixante ans. Cette maxime serait à l’usage d’un bon roi, peut-être même à l’usage d’une aristocratie éminente par ses lumières et par ses vertus, sur un tout petit théâtre et durant deux ou trois lustres d’exceptionnelle félicité ; mais je cherche en vain quelque