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PAULHAN. — les phénomènes affectifs

acte, ses conséquences et ce qui l’accompagne ne tient plus une place importante dans la conscience et n’occupe plus suffisamment les forces nerveuses pour qu’elles ne trouvent pas à s’employer ailleurs.

Ainsi cette première analyse nous porte à croire que le phénomène affectif a pour cause une impulsion arrêtée et qu’il se compose d’une quantité considérable d’éléments psychiques. Bien des analyses semblables nous conduiraient au même résultat. La faim résulte d’une tendance organique à prendre des aliments arrêtée et qui ne peut aboutir. Le dégoût, la colère résultent aussi d’impulsions entravées. Le désir résulte d’une tendance non satisfaite qui nous pousse vers un objet quelconque. Je prends, bien entendu, le mot tendance au sens physiologique ; par une tendance arrêtée, j’entends une action réflexe plus ou moins compliquée qui ne peut aboutir au terme vers lequel elle devrait aboutir s’il y avait harmonie complète entre l’organisme et ses conditions d’existence, si le système formé par l’homme et le monde extérieur était parfait. On pense en général que c’est le sentiment qui détermine la tendance physique et non la tendance physique qui engendre le sentiment, on pense que le sentiment est la cause du mouvement, je crois que c’est le contraire qui est vrai et que c’est le mouvement ou plutôt la tendance au mouvement qui, lorsqu’elle est entravée, produit les phénomènes affectifs. Nous verrons, dans l’exposé de la théorie que je propose, plusieurs raisons pour qu’il en soit ainsi. Nous en trouvons une immédiatement en reprenant au point de vue de la synthèse les observations précédentes et en voyant comment le sentiment naît par l’intervention de certaines conditions nouvelles, après avoir vu comment il s’éteint par la disparition de certaines conditions primitives.

1o Nous trouvons un précieux exemple de naissance d’une émotion dans le fonctionnement anormal de certaines fonctions organiques. Nous respirons, par exemple, sans ressentir aucune émotion. Tant que l’action réflexe qui met en jeu les poumons, les côtes, le diaphragme, etc., ne rencontre aucun obstacle, aucun phénomène affectif ne se produit. Si, au contraire, nous essayons de retenir notre respiration, ou si un obstacle quelconque vient à gêner nos mouvements, la tendance réflexe arrêtée donne lieu à des impressions de suffocation et d’angoisse. Même remarque pour la digestion, etc. Au premier abord, il semble que les émotions agréables et en général que toutes les manifestations affectives marquées d’un caractère de plaisir ne se rangent pas à la même loi. Si l’on y réfléchit bien cependant, on trouve, à mon avis, que là encore, quand l’émotion se produit,