Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
42
revue philosophique

nous. On est loin de méconnaître l’importance des réformes préconisées ou même essayées dans le domaine de la propriété, et le plus récemment de l’école, du travail, au mariage et de la prostitution. Possible qu’il convienne pratiquement en certains pays de commencer par ces détails, mais instruction, propriété, industrie, famille, loyer du corps, il n’est aucune question relative au sort de la femme qui n’aboutisse à celle de son droit. Le succès des croisades entreprises par un pur sentiment d’humanité n’est jamais bien considérable ; ce n’est pas pour améliorer la condition du sexe, c’est dans leur propre intérêt économique que certaines compagnies, certains ateliers, certaines administrations offrent à l’activité féminine de nouvelles occupations plus ou moins rémunératrices. Les enseignements de la psychologie et de l’histoire portent à croire que les modifications apportées dans la condition du sexe glabre par des législateurs barbus ne contiendront rien au détriment de la barbe. Ce qu’ils concéderont, s’ils accordent quelque chose d’une certaine valeur pratique, c’est dans leur intérêt qu’ils le feront, et c’est l’harmonie des intérêts des deux sexes dans la sphère économique et juridique qu’il importerait avant tout d’établir à leurs yeux pour faire avancer la société vers la justice.

Pour nous, qui n’avons pas l’ambition d’exercer la moindre influence sur les conseils et ne cherchons ici qu’à préciser la notion des choses, il nous suffit de constater que des changements quelconques apportés par l’autorité exclusive d’un sexe dans le sort de l’autre laissent le dernier sans droit et, soit qu’ils allègent sa servitude, soit qu’ils l’alourdissent, la confirment également.

Aussi l’esclavage des races faibles une fois sorti de la discussion, sinon des faits, par la guerre civile des États-Unis, l’irrésistible logique de l’histoire amenait sur le premier plan l’esclavage du sexe faible. La question des droits politiques de la femme devait se poser, et ne pouvait se poser pratiquement nulle part ailleurs que dans cette race anglo-saxonne, qui par l’étendue de son domaine, par l’accroissement de sa population, par la grandeur de sa richesse et par le puissant réveil de la pensée au milieu d’elle, marche aujourd’hui si résolument à l’avant-garde de l’humanité.

Est-ce par années, est-ce par siècles qu’il faudrait mesurer le temps qui nous sépare d’une solution positive ? Nous l’ignorons, nous n’oserions pas même affirmer, en nous fondant sur des considérations scientifiques, la possibilité de la justice ici-bas. Les espérances fondées par d’illustres docteurs sur les vertus miraculeuses du frottement et sur l’adaptation de l’interne à l’externe éveillent en nous un sourire qui n’est pas absolument l’illumination de la foi,