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CH. SECRÉTAN. — la femme et le droit

Dès lors, pour que la femme retrouve dans l’état social, où la majorité commande, l’équivalent de ce droit naturel à disposer d’elle-même qu’aucune violence ne saurait infirmer, il faut qu’elle établisse elle-même sa condition légale ; et si l’unité de l’État ne doit pas être déchirée, si l’homme a qualité pour intervenir dans l’établissement du sort de la femme auquel il est éminemment intéressé, il faut que réciproquement la femme intervienne dans la détermination des pouvoirs de l’homme, auxquels elle n’est pas moins intéressée. On peut réserver la question de savoir si la condition juridique d’un sexe doit être absolument pareille à celle de l’autre, ou si ces conditions doivent différer comme leurs aptitudes et leurs fonctions naturelles. De quelque manière que la question soit résolue, il reste que les seuls droits effectifs sont les droits garantis, que les droits politiques sont la seule garantie des droits civils, et que la liberté d’un sexe contraint à recevoir son sort tout fait des mains de l’autre ne sera jamais qu’un congé, son avoir un pécule, sa condition la servitude, et sa personnalité juridique un postulat de la raison dépourvu d’existence effective.

La condition faite à nos sœurs varie suivant les temps et les climats ; nous n’avons pas à nous en occuper maintenant ; ces différences n’importent point à notre objet. Il y a des servantes maîtresses et des esclaves favorites ; de grands empires ont été gouvernés par des femmes, et même avec un certain éclat ; mais le fait constant est celui-ci : la loi qui régit la femme est établie absolument sans son concours ; tous les droits qu’elle possède sous l’empire des législations les plus libérales sont à bien plaire, et des concessions à bien plaire sont précisément l’opposé du droit. L’individu qui n’est et ne fait que ce qu’un autre lui commande et lui permet d’être et de faire est l’esclave de celui-ci. La classe qui n’est et ne fait que ce qu’une autre classe lui permet d’être et de faire est l’esclave de cette autre classe. Ainsi l’autorité absolue d’une moitié du genre humain sur l’autre est le trait le plus général de sa constitution. L’esclavage de la femme, que nous voyons déployer ses conséquences les plus révoltantes chez les tribus sauvages et chez les nations barbares, subsiste en principe dans toutes nos lois, dont il forme véritablement la base, quoique les conséquences en aient été diversement atténuées et le nom plus ou moins bien dissimulé.

La question des droits politiques de la femme domine absolument tout notre sujet ; les lui refuser c’est lui refuser le droit, c’est empêcher sa personnalité d’apparaître, c’est maintenir le principe que la femme n’existe pas pour son propre compte, mais uniquement comme le moyen de continuer, d’enrichir et d’égayer notre propre existence à