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CH. SECRÉTAN. — la femme et le droit

pour elle-même, ou existe-t-elle exclusivement en vue d’un autre, dans l’intérêt d’un autre, savoir du sexe masculin ?

Nous ne pensons pas que la femme existe pour elle-même ; car rien n’existe pour soi-même : comme elle n’est que par l’ensemble nous pensons qu’elle est pour l’ensemble, et particulièrement pour l’humanité, dans laquelle elle est comprise. L’homme aussi, n’étant que par l’ensemble et par l’humanité, trouve la raison et l’objet de son existence dans l’humanité, dont la femme est une partie intégrante. Ni l’homme ni la femme ne peuvent se réaliser complètement que l’un par l’autre et l’un pour l’autre ; ils ne se déploient et ne s’affirment tout entiers qu’en se donnant l’un à l’autre. Mais pour se donner, il faut qu’ils s’appartiennent : la charité, qui est la vérité suprême, ne saurait se réaliser que sur le fondement du droit, car la charité, c’est la liberté. Pour accomplir la destination d’amour à laquelle on semble convier la femme, il est essentiel qu’elle ait un droit. Moralement, religieusement, la femme est, ni plus ni moins, mais autrement peut-être que l’homme, un moyen pour le bien général dans lequel son bien propre est compris, et spécialement un moyen pour l’homme. Juridiquement, elle est son propre but, elle est personne.

La femme est une personne, car elle a des devoirs. Ni l’opinion ni la loi ne songent à lui refuser des devoirs ; or il ne saurait exister un devoir séparé du droit : le devoir implique toujours au moins le droit de remplir son devoir. La notion de la personnalité n’a pas toujours été clairement discernée, et la personnalité juridique de la femme n’est admise par l’opinion et consacrée par la loi qu’avec des restrictions qui en diminuent singulièrement la portée pratique, mais si tel individu peut être plus ou moins personne au point de vue de la psychologie ou de l’histoire naturelle, la personnalité juridique ne comporte pas cette application de la quantité. Le système contraire est celui de l’esclavage. L’esclavage est le régime suivant lequel des personnes naturelles sont réduites juridiquement à la condition de choses. Aujourd’hui l’esclavage est réprouvé. L’opinion n’admet plus que des êtres naturellement capables d’exister pour eux-mêmes puissent être contraints, par ruse ou par violence, à n’exister que pour autrui. Bien que la guerre de peuple à peuple subsiste encore à titre de fait juridique, l’esclavage des prisonniers faits à la guerre ne trouve plus de défenseurs ; les travaux forcés ne sont admis en civilisation qu’à titre de pénalité s’appliquant au crime. L’inégale capacité des races humaines à se gouverner, que tant de siècles encore après Aristote, on invoquait en faveur de l’institution servile, n’est guère contestée en point de fait, mais ne paraît plus suffire à légitimer la conclusion qu’on en tirait autrefois. Et en effet, sans