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TANNERY. — le concept scientifique du continu

— entre deux points en dehors d’un ensemble de première classe, tel par exemple, que celui de tous les points correspondant à des nombres rationnels, si rapprochés qu’on suppose ces points en dehors de cet ensemble, il y aura entre eux une infinité de points qui lui appartiendront.

V. La définition du continu.

Le problème posé, d’arriver à construire logiquement la notion du continu en partant du point, n’a pas avancé dans l’exposition que nous venons de faire ; si elle va nous être nécessaire dans la suite, jusqu’à présent elle ne nous a servi qu’à apprécier les difficultés qu’offre une des faces de la question.

Il faut reconnaître avant tout que cette question n’a pas été sérieusement posée avant M. Georg Cantor ; ou bien quelques partisans attardés des thèses renversées par Zénon ont risqué d’insoutenables définitions du continu, ou bien on s’en est tenu au procédé d’Aristote, qui se contente en fait de définir ce qu’est la continuité de deux éléments continus. La notion du continu se trouvait donc de fait indécomposée et on était tenté de la regarder « comme indécomposable, comme une pure intuition a priori, dont on pouvait à peine donner une idée déterminée[1] ».

Ce n’est cependant pas d’une mince importance pour la théorie de la connaissance que de savoir si la notion du continu peut ou non être construite indépendamment de celles du temps et de l’espace, c’est-à-dire des deux formes du continu avec lesquelles nous sommes intuitivement familiarisés.

M. Georg Cantor n’a pas seulement posé nettement cette question, il l’a approfondie et résolue affirmativement en donnant du continu une définition qu’il nous reste à expliquer, parce qu’elle emploie des termes techniques dont la signification doit être précisée.

Le continu, d’après M. Georg Cantor, est un système de points parfait et bien enchaîné.

Tout d’abord une remarque est nécessaire ; point doit être entendu exclusivement dans le sens de valeur arithmétique bien déterminée. Si pour soulager l’attention, on peut recourir à l’intuition d’un point déterminé par cette valeur sur une droite (ou sur un plan ou dans l’espace à autant de dimensions que l’on voudra, suivant les relations indiquées plus haut), il est clair que cet emploi auxiliaire de la

  1. M. Georg Cantor, Acta Mathematica, 2-4, 1883, p. 402.